Vendredi 13

Musique et voix : Agustín CaRtago
Texte et voix : Emilie ZébeRt

Il y a cinq ans, nous aspirions à de nouveaux horizons. J’écrivais « Vendredi 13 ».

Aujourd’hui, l’actualité nous rappelle la nécessité du souvenir. Agustín Cartago, mon talentueux ami argentin dont la guitare rythme le coeur, l’a mis en musique.

À la mémoire des victimes des attentats du Vendredi 13 novembre 2015 à Paris, à la mémoire des victimes des attentats contre Charlie Hebdo, à la mémoire de toutes les victimes des attentats passés dont nous ne voulons plus.

Eux c’est nous.

© Emilie ZébeRt

Pensée

Un confit ne manque guère lorsqu’on fait le canard.

Oh, Terre aimée, nos actes ont le virus de notre vérité. 

Te retrouver dans nos lieux secrets n’a que trop cuit l’évidence de notre destinée. 

Cassons la croûte empoisonnée en ce début de printemps où chante en ton coeur le bonheur d’un horizon vénéRé.

© Emilie ZébeRt

Artificiellement vôtre

L’art de discourir se référant à certains vécus ou certaines convictions est l’actualisation la plus merveilleuse de nos sentiments. Le bavardage, tant sanctionné lors de notre éducation afin de maintenir notre écoute commune sous contrôle, anime si bien ce qui nous caractérise et l’envie irrésistible de partage avec ou sans filtre.

Nous échangeons volontiers sur nos avancées quotidiennes, histoire de plier nos vies en origami. La représentation excessive du bonheur ou du malheur, aussi subjective soit-elle, électrise notre poésie sous les griffes du passé. Si ce dernier n’effrayait plus le présent au mouvement tracé de circonstances imposées, nous acquerrions sans doute une liberté de choix inconditionnels. Demain, la virginité emballerait notre savoir déclamé, travaillant la nuit, jouissant le jour, ignorant les engagements dictés par les conventions inutiles, pesantes et désuètes. La définition même de la morale n’est dorénavant régie que par les opinions brandées de nos fabuleux médias. Greta milite sans trembler, qui ose donc se moquer ? Révisez votre humilité, vielles gens, le devenir n’a pas d’âge.

Il m’a trompée, nous l’avons trompé, elles se trompent : nous bafouillons ensemble.

Le parfait moment parisien, digne de ce nom pour discourir, défile en soirée chez des amis de longues dates. Cela implique s’il-vous-plaît trente minutes de retard poliment assumées, un duffle-coat curieusement remis au goût du jour, une coupe avec raie sur le côté et oreilles dégagées si cheveux il y a, la bouteille de Gin de nos actes manqués, sans oublier une femme que nous ne présentons plus puisqu’il s’agissait de la maîtresse du métrosexuel qui dans trois mois sera à son tour trompée etc, etc. Nous découvrons le grand appartement lisse et blanc orné de tableaux démesurés en vogue qui prendront évidemment soon de la valeur selon le galeriste de la rue du Bac. Primo, être bilingue pour ne pas dénoter, deuxio, placer l’adverbe « potentiellement » dans une phrase sur deux, tertio, se pavaner devant l’éphémère arborant l’aiR sérieux. La superficialité est magnifiée, ça rayonne d’apparence. Point de livres ni de photos, quelques meubles design à l’utilité douteuse supportent l’high-tech pointilleux. Trois plantes dans le coin à gauche n’en finissent pas de mourir. Place aux mondanités, notre hôte nous dirige vers le living room trente mètres plus loin. Les enfants au lit, mesdames, déshabillez-vous afin que ces messieurs puissent vous toucher délicatement et sentir de quel bois vous vous chauffez. Le tout merveilleusement poudré de Chanel, merci nos aïeux. 

Notre Australie brûle et Niagara retient ses chutes de larmes. 

On innove dans la colonie de l’espace, Mars serait une échappatoire disent-ils : « c’est extraordinaire, demain je prends mes billets ! » Tandis que les opinions sur Hidalgo engendrent des violences verbales tel un défouloir chez ceux qui n’ont pas encore résolu tous leurs problèmes intérieurs, la femme plus jeune que le groupe franco-français réuni ce soir, aux talons trop hauts et à la plastique trop cute est naturellement dévisagée de tous. Les proches l’aiment déjà, deux femmes aux rides camouflées, un peu vulgaires et évidemment disgraciées, improvisent une sympathie poussiéreuse afin de fausser l’amitié convenue. Si seulement son armure était plus dorée et son blason à jour face au jugement dernier ! Elle ne sait la réelle raison de sa présence, elle fuit un passé boiteux et accompagne un homme qui lui promet la lune, encore un. L’alcool coule à flots, les verres ne se sentent jamais vides, et la discussion bat son plein. Nous passons des photos Insta de la nouvelle conquête du frère en partie nue pointée du doigt mais bien épiée par tous, à l’égalité des sexes en affirmant que les femmes savent indubitablement moins bien se vendre que les hommes. Cette curieuse évolution des mentalités n’est pas toujours évolutive semblerait-il. Il est aussi temps de réserver notre villa à Saint-Barth pour l’été car les prix commencent à flamber sévèrement, ça c’est un vrai problème. Nous nous remémorons les folies sweet du Club Med de notre jeunesse : touche-pipi party pour les petits et pour les grands, la belle époque.

Nous étions là avant toi ma jolie, va faire la queue pour voir.

L’animation verbale continue par la réouverture des bordels comme solution à la clandestinité du métier de prostitué. Nous en avions déjà parlé avec l’ex strip-teaseuse du voisin à la carrière prometteuse, il est grand temps de redonner vie à un environnement comme on les fantasme pour le bien-être de tout le monde, l’investissement vaudra le détour. Abasourdie par tant d’exclamation, la jeune femme plutôt silencieuse et son ami cigare écoutent attentivement. Soudain, c’est la mise en lumière « et toi alors, que fais-tu dans la vie ? » Issue d’une famille d’artistes engagés et de philosophes italiens, les propos lancés aveuglément l’ont assoiffée, elle lève donc son verre, souriante, et déclare : « pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, je m’enivre, dixit Baudelaire. Le vin est bon, j’essaie la poésie avec un peu de vertu. J’ai ouï-dire que Mars espérait la guérison de Terre afin d’ouvrir la plus belle des voies jusqu’à ses courbes car Mars est méritant, il ne s’agit point d’une fin, ne vous y fiez pas, ses cratères et ses bassins d’impact ont tendance à le rendre lunaire et réticent face à l’inconséquence de certaines pensées ; Mars sublime l’univers et élève ses astres dans l’ombre de nos pas. Je commençais tout juste à vous apprécier lorsque mon intuition m’a convaincue d’aller contempler le temps filant dans les yeux de mon bien-aimé. Si je m’enferme sur votre étagère vous casserez ma constante sans avoir écouté, veuillez m’excuser. Oh Mars ! J’étais déjà partie avant même d’arriver. Merci pour cette partition entre deux planètes. »

Avec un peu d’agilité, parfois, une élucubration vaut mieux qu’une idée Reçue.

© Emilie ZébeRt

L’au-delà

– Docteur, ma poitrine me fait de plus en plus mal. Je sens comme des coups de poignards qui durcissent mes seins. Je ne dors plus la nuit par peur que mon coeur explose et brûle mon âme. J’ai aimé un homme au grand aiR, je l’ai adoré mais un soir, il y eut une éclipse lunaire. Depuis je manque de souffle, vous comprenez ? J’ai abandonné la joie qui habitait mon être, le désespoir me hante et je peine à réanimer mon humour.

– Madame, déshabillez-vous, s’il-vous-plaît.

– Docteur, je ne puis supporter une troisième mort. Il était si beau, enflammé par de folles envies et surprenant d’authenticité. Vous voyez, il suffit que je parle de lui pour échapper à mon marasme et renaître de mes songes.

– Veuillez laisser vos bras le long de votre corps. Lorsque vous évoquez une troisième mort madame, s’agissait-il d’un membre de votre famille ?

– Il est fils, frère, père, oncle, mari, amant, ami, il est tout. Vous n’entendez donc pas ? Il est tout ce que j’aurais aimé vivre à ses côtés.

– Est-ce le jeune homme qui vous accompagne madame ?

– Docteur, non, vous me parlez de compagnie, je vous parle d’amour. Laissez-moi vous raconter le jour où il a changé ma vie. Il m’attendait en bas de chez moi, fier dans sa tenue d’apparat, sans que je puisse prendre le temps de m’apprêter pour l’incroyable du moment. Tout est allé si vite. Nous aimions nous balader dans mon quartier où résonnent encore les mots entre ses lèvres : « pars avec moi et quitte tout ». La séduction que nous entretenions depuis des mois, toutes ces attentions avaient donc un sens à l’épreuve de nos actes. Quelques mots de lui me rendaient si vivante.

– Madame, retournez-vous je vous prie.

– La vérité et la transparence étaient notre unique promesse. Il y a les faux et les vrais, je nous croyais vrais ! J’ignorais tout de lui néanmoins nos confidences suffisaient à nous guider dans les secrets rouages de nos vies. J’écoutais ses histoires à longueur de temps, m’associant à ses profondes dérives, comme si je pouvais comprendre un tel naufrage, une telle fuite. Avec du recul, je devine à quel point les engagements personnels de sa vie ne furent finalement que frustration. Une fois la tentation de suivre le conformisme des mortels avortée, il ne put vivre l’amour librement. L’amour n’était à ses yeux que méfiance là où le bonheur n’est qu’histoire de mortels. Mon humeur joueuse devait se calmer face à ses exigences limitées et ses tours de vie fâcheusement mauvais.

– Rhabillez-vous madame et asseyez-vous. Inspirez profondément par le nez puis, expirez doucement par la bouche.

– Docteur, je l’ai aimé et j’étais heureuse de l’aimer. Je me suis confiée entièrement à lui. Cette nuit-là, la Lune était dans l’ombre de la Terre laissant place à l’obscurité de nos sentiments, je voyais soudain si clair en son jeu. Les piliers ont alors été bombardés, tout s’est effondré car lui me mentait dans toute sa banalité ne laissant que poussière à l’horizon. Au-delà du mal subi, ce qui m’est le plus insupportable je crois, c’est d’avoir été la victime de ce que j’exècre dans ce bas monde. Ce contre quoi je me suis battue, en tant que femme, a été souillé en une éclipse. J’étais vouée à notre histoire, rien ne pouvait entraver mon envie de lui. J’accompagnais ma bonne étoile, prête à gravir les plus hauts sommets jamais gravis jusque-là. Même lorsque j’ai su et voulu pardonner tant je l’idolâtrais, il continua ses sinistres actions et ce, en compagnie d’amis témoins que je croyais miens autrefois. En toute connaissance de mes deux premières morts, il brisa à nouveau mon coeur. Ces derniers jours, je ne composais plus qu’avec la conséquente fatigue de ce qu’il vivait ailleurs. Je le soignais malgré tout et me disais qu’à ses côtés tout était encore possible puisque tout me semblait insipide sans lui. Je ne me suis jamais sentie si seule dans les bras d’un être si cher à mes yeux.

– Madame, tout va bien, ce n’était qu’un vertige.

– Docteur, je ne pensais pas que souffrir pouvait encore m’arriver.

– Madame, « des années de souffrance ne paieraient pas une heure d’amour ». Cela fera vingt-cinq euros, comment désirez-vous régler ?

 – En alignant les planètes de nouveau docteuR.

© Emilie ZébeRt

Une chanson douce

Le manipulateur,
Pour un double whisky,
Survit larmes à l’heure.

Créditeur de minuit,
Il sourit le charmeur
Aux dames trop jolies.

Il prévient et surgit
A l’ombre des frayeurs
De nos vies sans soucis.

Il est là, on l’admire,
Méprisant de ceux qui
Fêtaient nos souvenirs.

Parfait, beau et gentil,
Prêt à nous démolir,
Il sait tout mieux qu’autrui !

Il sent bon l’aiR nouveau,
On l’écoute, sûr de lui,
Toujours frais pour l’oiseau.

Il nous a, il nous tient
Et finit par nous dire :
« Demain je serai loin ».

Où va-t-il, que vit-il ?
On a tout fait pour lui,
Jusqu’au dernier pistil !

Nous aurait-il volé ?
On a cru, oh ! parleur,
Qu’il n’était pas mauvais.

C’était une soirée,
Invités chez Gustave
Où on devait danser…

Des pleurs nous avons ri,
Face à Jessica Jones
Le héRos s’est enfui.

© Emilie ZébeRt

Bon An Mal An

Il est étonnant d’observer, Justine, à quel point un adjectif peut contenter le caractère humain dans la bouche de celui qui ose juger autrui. Paul dira : « elle est jalouse » et il chantera à tue tête un aiR à ce titre. Et si Paul avait lu Jean, dont le nom parfumé est de La Bruyère, peut-être aurait-il eu assez d’esprit pour chasser les idées communément reçues et s’intéresser à l’essence de tout un chacun.

« Les hommes et les femmes conviennent rarement sur le mérite d’une femme : leurs intérêts sont trop différents. Les femmes ne se plaisent point les unes aux autres par les mêmes agréments qu’elles plaisent aux hommes : mille manières qui allument dans ceux-ci les grandes passions, forment entre elles l’aversion et l’antipathie. » Voilà de quoi illustrer les nombreuses situations dont tu seras le sujet, à ton insu ou pas. Justine, il y a peu de vérité entre les Hommes, ceci dit, une fleur ne fane pas toujours là où l’arrogance écrase la fraîcheur de ses couleurs. 

Sans vouloir offenser Paul, revenons à nos moutons. L’histoire dont il te fera porter le chapeau tel un cow-boy dans le Wisconsin mérite tout de même quelques mots. Dans un premier lieu, il y aura cette vie avant toi qui imposera un respect chronologique des rencontres avec une priorité à droite. Toi, tu respecteras, par élégance. Non sans peine, tu le questionneras sur les tromperies et tu apprendras que la reine des hyènes est à l’honneur, récompensée au nom du « bon d’antan » (une sorte de bon de commande désuet mais toujours valable). Ainsi vivra-t-il dans un monde où le passé ébranlera le présent tel un challenge en direct, face caméra : « et maintenant Justine, c’est à vous contre Evelyne, Joséphine et Clémentine : celle qui lancera le plus de tartes à la crème dans le visage de l’autre gagnera le droit de rejouer ! » Il y a trois cents trente ans, La Bruyère écrivait les Moeurs de ce siècle.

Un tour de piste et vous passerez la troisième dans le virage où le passé de chacun ne devrait être que prétexte pour mieux accélérer ensemble. Tu symboliseras l’envie de faire peau neuve et jouira de chaque moment. Puis, de rencontres en soirées, il te suffira de vouloir exister pour tout faire basculer et provoquer de méchants procès. Paul boira pour oublier et tu boiras encore plus à votre santé. Jusqu’au jour où tu seras éclaboussée par le verre de trop car une inconnue te rappellera l’évidence. Paul sera avec toi mais jamais en présence d’une autre femme. Malgré tous tes efforts, Paul dira Mordicus : « elle est jalouse », résumant ta condition à celle des femmes entre elles et non à celle qu’il a créée dans le miroir de ses propres vérités autour de toutes les femmes de sa vie. Justine, ce n’est qu’égoïsme soupoudré d’hypocrisie.

Aux prémices de votre rencontre, cela fera un an que je voulais te raconter demain. Justine, tu pousseras au printemps et les mauvaises herbes seront arrachées à la racine sous la boue. Les sujets sensibilisés par la critique resteront là où les envieux s’impliqueront sans retour possible. La plume de Jean adoucit mon sentiment pour tous les mots que Paul clamera sans fondement. Il est temps de repartir et d’avancer, soyez méritants. Justine, l’amouR a tout aux yeux du mal an.

© Emilie ZébeRt

Rive droite

Confuse pensée, tu reviens de loin !
Visage blafard, tremblante de peur,
Incertitude, va-t-en ! Je t’en prie !

Il n’est pas mien le temps de rien,
ni cette ébauche peinte sans espoir.

Regarde la trahison devant toi,
elle n’est guère l’éveil qui te convient.

Je suis allé trop vite disait-il,
j’ignorais l’ardente futilité.

L’autre hurle, moi j’échoue, lui s’en va.
Est-ce donc ça nos âmes en peine ?
Souffrance, tu nous isoles soudain.

Je te salue, tu es passé, sans moi.

J’erre sur le pont Marie, doucement,
Le vent pénètre mon corps lourd et froid.
Figée, je surprends l’ami sourire,
celui qui aide, celui qui aime.

Bonsoir jeune fou, que fais-tu donc là ?

Tu as supposé ma légèreté,
une esquisse sur mes lèvres, oh oui !
Ici, j’ai senti l’oubli de l’ennui.

Beauté originelle sans pudeur,
joli bonheur, ma bouche s’agrandit.

Mais pour demain ? Le pont, le vent, l’ami,
amenez-moi sur la rive là-bas.

La lumière a l’apparence du feu
attirante de joie à vos côtés.

Ridons notre vie d’une joue à l’autre !
L’avenir n’a de regret que pouR eux
donc excusez-moi, je suis invitée !

© Emilie ZébeRt

La balle aux bons

Mia tombe au milieu des roues glissantes du boulevard des Capucines. La transparence de son chemisier blanc accuse la pluie battante sous le regard d’un journaliste. Elle sortait du Grand Hôtel faire la paix au café du coin et n’avait qu’une chaussure pour ses deux pieds. C’était un accident.

Le corps étendu sur le froid du bitume ne répond plus à l’agitation. Le seul scandale qui l’anime est le souvenir de cette nuit passée dans les yeux de son amant.

Le temps mort n’a pas été sifflé, Mia joue encore, inconsciente de son état physique : le ballon est pour l’équipe adverse dont le meneur est son amant, numéro quatre, même poste, même chambre. Seul un magnétisme extrême pouvait attirer ces deux joueurs en quête de victoire sur un terrain glissant. L’entre-deux était plus fort qu’une frappe haute et directe. Le match ne pouvait débuter par une simple action, ce fût un accrochage de dribbles entre les jambes et derrière le dos que la technique de Mia mena en huit secondes vers une passe décisive à son ailier pour un tir direct à trois points. Son ailier était sa vie d’artiste. Elle dansait volontiers dans le restaurant de sa responsabilité où ils se sont rencontrés. Elle y contait les plats du jour aromatisés d’envie, lui éternisait ses déjeuners d’affaires. Ils se cherchaient gaiement. Cette luxueuse brasserie était le pari du vieil ami pour qui elle entraînait la compétition financière de ses services. Une défense de zone s’organisait mais Mia comprit rapidement que la vision globale du jeu ne suffirait pas car son amant était un soleil aixois élégant du coude, plié correctement dans l’axe, à la main dessinée pour un joli tir. L’attaque de ce dernier fût franche, les autres criaient l’alerte tandis que Mia caressait une défense individuelle ressentant une attirance peu commune, une évidence de vie, une concordance d’actes irrésistiblement profonde. Ils savouraient la même potion pimentée d’humour. Dès sa première action, l’amant ajouta deux points, seul, illuminé, résultat d’une feinte de passe imprévisible qui trompa tout le monde. Elle, roulée dans son bras sculpté de provocation, n’était pas dupe. Le premier quart temps, rythmé d’un sans fautes, était une découverte en suspension de partage physiquement intense et semblable à deux révoltés.

Le pivot d’en face écoutait la voix de son amant accompagnée de quelques accords de guitare appris lors d’une contre attaque qu’il ne fallait pas oublier. Mener chaque action avait son importance, rien n’était laissé au hasard. Pourtant, ces deux-là n’avaient pas prévu un tel orage laissant sur la touche leurs compagnons respectivement amoureux d’une idylle choyée. Défense à Aix-en-Provence, changement de terrain à Londres, quelques lancers francs de Rome à Barcelone où claquaient les double pas dans les ruelles. Ils smashaient sur les écrans et régalaient les vrais champions aux baskets usées dans les sous-sols parisiens. L’arbitraire de Mia narguait les prolongations avant toute fin possible. Son amant comptait les trois secondes dans la raquette punissant son corps de plaisirs. Le délai était impatient, comme eux. Il y eût un aiR ball vers Dubaï que l’amant voulait chanter à Mia sans récupérer le rebond. Ils se blessèrent, il lui déchira le maillot d’un coup sec des seins jusqu’à la taille, un trait direct, droit et violent dès sa remise en jeu. Les quelques fautes offensives suivantes ne pouvaient être qu’excessives. Mia accusa maladroitement une reprise de dribble. Lui l’enchaîna sur un traveling régalant les foules. Il ne s’agissait plus de gagner un titre nommé, ils s’excitaient repoussant les limites plus loin. Les écrans survolaient le restaurant amusé de Mia où il dépensait son temps. Un regard suffisait aux amants réguliers. Eux seuls embrassaient le danger, devinaient l’épreuve qui en découlerait inévitablement. Les équipes vivaient leur face à face telle une vie rêvée, ils savaient que ce match changerait la donne. Quelques minutes ont renversé leurs techniques de jeu infaillibles, leurs maîtrises de prévoyance et leurs visions toutes faites si semblables. Il n’y avait pas de retour possible. Il lui démontra avec précision comment relever le coude pour marquer à tous les coups à domicile et provoqua l’accident à l’extérieur.

C’était la mi-temps. Un passage en force de son amant suffit à réanimer le corps de Mia dos aux cancans parisiens. Il remit chaussure à son pied et l’emmena au soleil de ses pulsions. Il savait pertinemment qu’elle jetterait tout à terre pour continuer la rigolade. Ce sont deux maîtres en la matière. Ils décriront plus vite les premiers jours du reste de leurs vies, les yeux mouillés de sel, et souriront à la folie des jours heureux.

Si vous croisez deux drôles de meneurs dans un des hémisphèRes, sifflez leur donc la suite, ils n’attendent que ça !

© Emilie ZébeRt

Ivresse

Le foulard humide et salé de mélancolie tempère le chemin d’Apolline. Un chat gris freine ses pas sous la lune rousse d’un été chaud pour la saison. Elle ancre son regard vers le sous-bois à la recherche du malin caché. Curieuse, elle s’agenouille en silence articulé de délicatesse. Le temps des aiguilles implore ses songes. Apolline s’isole dans la pénombre d’une nuit tourmentée par un jeune homme.

Le grain de peau frissonnant, elle imagine ses belles mains caresser la sensible nuque dévoilée sans pudeur. Loin de l’abysse humaine, il semble s’élever au-dessus de l’auguste montagne dont la couleur pénètre l’horizon comme ses yeux en un regard. Une rencontre soufflée de voix inattendue, Apolline n’osait bavarder, le trouble envahit sans crier gare. Elle se souvient de la respiration bloquée à l’intimité de sa joue. Ce soir, il ne devait pas être là, il n’aurait pas dû car il arracha à jamais son coeur.

Le sous-bois animé incite à reposer ses grands yeux si tristes. Apolline inspire profondément afin de calmer l’étouffante ardeur. Elle prend conscience de la moindre vie qui l’entoure et sent cette symbiose admirable de connexion. Un concerto harmonise chaque bruissement. La plus curieuse des impressions résonne telle une évidence oubliée : toutes les grandes choses de ce monde s’effondrent si nous perdons les petites. La nature nous l’explique chaque jour, Apolline l’entend.

Le vent emporte la chaleur de son âme entre pollen et gouttes de larme. Elle ignore tout du jeune homme sauf l’amour dont il souffrait sans retenue. Les lèvres de son visage coupaient le son de ses mots, elle n’a pas écouté les murmures dans l’aiR foudroyant de pulsions insoutenables. L’unique de son être lui plaisait magnifiant sa grandeur. Il était mystérieux, Apolline l’était pour lui. Inconsolable de passion, elle a saisi son trouble volant l’insouciance qui l’habitait autrefois.

La moindre coïncidence peine ses idées. Le chat gris ne revient pas. Elle attend puisque tout ici le ramène à lui. Le jeune homme ou le petit chat, c’est égal. Sans espoir l’indifférence règne alors elle patientera, le temps nécessaire. L’âge du chêne voisin, dont les glands séduisent avidement le bon odorat de l’écureuil curieux de nouvelle présence en ses lieux, interroge Apolline sur le nombre de jours loin de sa peau cicatrisée au coin de l’oeil. Épuisée de souffrance, elle allonge son corps à même le sol s’adonnant à l’étreinte du serpent, aux piqûres en tout genre et sangliers à la charge.

A son réveil une douce sensation en bas du dos surprend Apolline. Le chat a veillé aux côtés de ses rêves enroulés des bras musclés puis emmêlés des longues jambes du bien-aimé. Mais le chat n’est pas gris. La nuit était-elle enchanteresse d’images ou le sous-bois a-t-il confondu l’ombre et la lumière ? Perdue, Appoline embrasse le chat calico au museau rose pâle, les retrouvailles sont éternellement ronronnantes. Elle se lève, dégourdit son esprit, pas une blessure, juste cette petite boule de poils retrouvée en chemin.

Le flou de sa vision mène leurs pas au bout d’un sentier fleuri de camomille. Soudain son coeur bat la chamade, une silhouette repose au pied d’un saule pleureur. Apolline s’approche attentive, et, sous un chapeau de paille, un brin de blé en bouche, il est là, l’homme de ses tourments, l’homme qui partage sa vie depuis tant d’années, l’homme qui est moins jeune. C’était donc lui qu’elle cherchait et dont elle n’entendait plus la voix car de jours en jours, l’homme du premier n’est plus celui du dernier. Qu’en est-il de celui qui hante ses nuits ? Les pleurs ne seront que plus violents, avant elle savait. Miséricordieux, le chat les adopta, chemin faisant l’ivResse du lendemain.

© Emilie ZébeRt

Polichinelle

Impossible à vivre, il hante nos salons du mal subi, fidèle demeurant quelque part entre prudence et torpeur. Dans les chambres, un nom murmuré échappe à son souffle nocturne illustré de mystérieuses raisons collantes de papier peint. Les bruits de couloir résonnent du fumoir. Il affuble nos journées dans l’ombre glacée de ses empreintes. En cuisine, l’aiR le vaporise comme si les nuages n’avaient pas d’extérieur. Immortel, au-dessus de tout soupçon, il nervure notre âme jurée : on le nomme « secret ».

En famille, une vermine contagieuse l’enracine sans scrupules.

Le père, à la névrose infantile inavouée, souille son rôle d’aventures irrespectueuses en mensonges grossiers. Sans savoir, on l’écoute en toute confiance avec l’amour qu’il aime réclamer à outrance. Plus tard, ses paroles afficheront cinquante à zéro pour ses actes, trop tard. Le père Noël n’existe pas. Premier choc tandis que l’enfant caché est l’absence suggérée de toutes pensées lors du repas mais chut, surtout n’en parlons pas ! Tiens, la soeur palpe la violence des discussions au plat de résistance et se referme comme une huître collectionnant en cachette ses perles de non-dits. Le petit rigolo, fiancé de la fille, démontre trop de génie pour être sincère, il doit y avoir anguille sous roche. Il paraît que sa mère est gravement malade, sa voisine l’a dit à la boulangère. Quoi qu’il en soit, il parle trop sans l’essentiel. L’oncle a la mine des mauvais jours, un divorce vieillit le vin de sa coupe remplie de déchirure. La cousine fait une annonce inutile puisque son ventre a la rondeur du nouveau. Dans le jardin, Incognito le chien court nicher son os, et le fils fouille les tiroirs de la commode du cellier en catimini à la recherche du trésor universel : « dis maman, comment fait-on les bébés ? » Le rire à l’unisson impressionne cet enfant imaginant un jour être le grand-père qui règne par principe. En son temps, la grand-tante Claudine n’aurait pu imaginer sa vie en couleur sur une toile publique médiatisée de faux semblants afin de gaver les réseaux sociaux. Saviez-vous que la professeur de samba de Claire va se changer dans le bureau de Firmin en haut de l’école primaire ? Le scandale éclate sous le préau, on l’étale en famille. Pour finir, le gagnant est l’hypocrite de service, l’ami du soi-disant. Toujours présent à la tablée du dimanche, il pêche les nouvelles en désossant chaque membre inutilement. Une deuxième part de gâteau, s’il-vous-plaît, trop n’est jamais assez pour nourrir les convives à la fabulation sans vergognes.

En société, il se cache pour mieux combattre les injustices.

L’entretien d’embauche se déroule dans les bureaux à la façade impeccable de transparence. Le jeune diplômé a grandi dans une patrie déclarée fraternelle où le travail détermine la valeur et l’investissement en masse. L’assistante, au sourire déguisé de circonstance, accueille les candidats potentiels tel un véritable Pit Bull. La compétition commence, le patron raccroche avec son comptable histoire de tirer le meilleur bénéfice du prochain viré sur la liste à qui il diagnostiquera un absurde manque à gagner dans la boîte à camembert. En réalité, le licencié a le béguin pour la femme du patron, fait réciproquement véridique et visiblement condamnable. On le sait, on se tait : « au suivant ! » Dix ans de psychanalyse épouseront l’affaire. Les dossiers classés top secret, niveau rez-de-chaussée, en disent long d’après les collègues abonnés au café matinal. Malgré tout, la règle numéro un figure le fameux motus et bouche cousue. Diplôme faisant foi, le jeune est admirablement recruté au poste vacant, tant d’appellations valorisantes pour un minimum déversé en fin de mois taxé pour le bien de tous ou plutôt de quelques uns formant un tout. Un lendemain de pleine lune, il pleut des cordes sur le toit patronal fumant de colère. Abracadabra, la une des journaux est consacrée à sa société douteuse : surprise ! En noble conséquence les employés subissent les hurlements de honte du responsable. La remise en question n’est certes pas à l’honneur en ce qui concerne le haut de l’échelle, mieux vaut d’ailleurs ne pas tomber seul, d’où l’intérêt de s’en prendre aux autres ! À vrai dire, le petit dernier en place est un génie de l’informatique. Il a rapidement dévoilé au monde les comptes scandaleux de l’entreprise couverte par l’état et une horde d’avocats véreux, tous droits réservés. Les financements frauduleux, documents falsifiés et autres confidentialités dont une fortune non déclarée causeront la perte de celui qui eut les yeux plus gros que le ventre. En revanche, ce n’est qu’un petit pois dans l’immense manipulation financière de nos dirigeants à la morale douteuse et aux magouilles insupportables. Le génie décide d’oeuvrer en toute clandestinité car aujourd’hui, s’exposer au monde c’est l’accepter, or ni lui ni nous ne voulons un environnement soumis à l’information fleurissante de pots de vin.

Cadenasser l’amour ne fait qu’alourdir ce dernier jusqu’à la chute. Point de non retour à nos actions verrouillées d’honneur, nos histoires ne font pas facilement les grands Hommes. Un jour de soleil timide, quelqu’un m’a confié une vérité devenue ma botte secrète. Pourvu que je ne me trompe pas de pieds car de méli en mélo, parfois, je ne sais plus qui croiRe.

© Emilie ZébeRt

Par ailleurs

Lui s’est trompé de sac pour voyager, nous aviserons sur place, pense-t-il, sans gravité. Là-bas semble solutionner le problème d’ici, l’erreur paraît futile de loin cependant Elle sait d’avance l’ampleur du drame qui assombrira l’horizon de petits détails tels qu’un sac inconfortable pour avancer des montagnes andines à la côte pacifique.

Heureux de débarquement, ils mangent les kilomètres dans la bus mobile où cliquent les photos de l’appareil annonciateur du concours dernier cri de touristes aux lampes frontales décoratrices et coussins gonflables sortis pour l’occasion. Les Bidochon en équipement montagnard cramponnés à leur gourde prennent la pose du conquérant au majestueux Machu Picchu, le pied sur un rocher transporté on ne sait comment du niveau de l’océan jusqu’au sommet, des siècles auparavant. L’allure certaine, mains sur les hanches, « un, deux, trois », dix secondes plus tard, l’insupportable « cheese » résonne pour les zygomatiques. « C’est dans la boîte mon chéri. Tu es tellement beau. » Ah bon ? Cela reste aussi mystérieux que les alentours ! Les écrans sociaux rendront hommage au cliché et peut être un cadre dans le salon, si madame veut bien. La saison du carnaval des voyageurs déjà vu déguise les ridicules. L’altitude faisant, la bêtise innove. Pour gagner l’avantage de l’originalité en vogue devant l’objectif polluant l’aiR d’effigie à la technologie mouvante, chacun y met du sien sans la moindre retenue. En arrière plan un chinois peut en cacher un autre : pris, les doigts dans le nez !

Elle : « Nous ne le ferons certainement qu’une fois dans notre vie, le plus rapide serait de prendre le train pour s’y rendre, qu’en penses-tu ? »
Lui : « On critique, on regrette les touristes qui engraissent les compagnies de ce système et par manque de temps nous cédons ! Je dois manger une glace. »
Elle : « Oui mais j’ai lu tant d’histoires sur ce train… »
Lui : « Nous n’avons pas d’autre choix, allons payer ! Au moins je ne porterai plus ce foutu sac. »
Le moustique : « Finalement, c’est trop cher, moi, je n’ai pas envie et puis je suis fatigué, je resterai à l’hôtel. »

Dans un désert somptueux de sel, les 4×4 d’aventuriers boliviens polluent le paysage où les guides réalisent une vidéo grâce à la perspective incroyable de réflexion. L’horizon sans fin permet le jeu et le prix de l’expédition vaut bien des chips reconstitués états-uniens. Les consignes sont précises. Le guide place le paquet de Pringles devant l’objectif posé à même le sol, les touristes quarante mètres plus loin doivent improviser. Moteur, ça tourne, action : mimez l’escalade d’un ravin dangereux les uns derrière les autres tels des explorateurs, retrouvez-vous de l’autre côté, demi tour, accroupissez-vous pour entrer à l’intérieur d’un tunnel obscur et mission accomplie, ressortez en dansant, heureux de réaliser le clip de vos vacances, goût Paprika. Sérieusement, on ajoute une musique locale au montage, rien de mieux que la bonne recette d’un abrutissement touristique instantané et cerise sur le gâteau : les gens ( y compris Lui et Le moustique ) adorent ! En tant que spectatrice non sociable d’un tel phénomène refusant une si chouette mise en scène, le rire l’étouffe. Elle n’en revient pas, on feint le dommage collatéral. Il faut le voir pour le croire. Ne sachant où se réfugier, Elle écoute le sel sous ses pieds piquant de cristaux toute éblouie par l’incroyable réverbération des rayons du soleil. En route, il faut y aller. Trois jours durant, rien n’arrête le circuit prévu. Douze étrangers emboîtés sur des sièges de 4×4 suréquipés aux fenêtres fermées en garde du vent ravageur. Quelques minutes d’arrêt pour chaque environ à couper le souffle, pas une de plus s’il vous plaît. Étourdie, Elle ose, une fois, retarder la bande de cornichons pour qui seule compte l’arrivée avant les autres au refuge. Le guide bolivien anglicise « fifteen minutes », Elle comprend fifty et montre en main arrache ses pas dans l’aride à la recherche de liberté, précisément. Ces règles écolières de temporalité l’oppressent, Elle enrage des dix heures de voiture dans les parages sculptés de pierres, du manque d’activité physique, intellectuel et de respect pour cette nature généreuse en couleur. De plus, la proximité avec la pire des jeunesses criarde américaine hochant un « yes » à chaque explication rudimentaire l’angoisse. A son retour, le chauffeur dont la vie est un Dakar fait rugir son moteur, le guide se tait d’impatience et les autres la fusillent du regard. Elle ne correspond pas et retarde le troupeau. Quant à Lui, frappé un coup de trop par la chaleur, il s’isole, poussiéreux, dans la réciprocité des demandes, un exemple de bon élève. Semblant de mal-être face à une danoise naïve tombée sous le charme du beau parleur sauveur de l’humanité, il fuit derrière les persol de Steeve McQueen offertes par Elle, protectrice du bleu de ses yeux. Le moustique, nuisible juvénile imbu de sa personne, s’installe toujours à la meilleure place. Imbuvable oui ! Et dire qu’à la fin tout le monde applaudit, sauf Elle, évidemment. Le spectacle est un désastre d’hypocrisie en tout genre. Pas étonnant que les lamas, oreilles rabaissées, leur crachent dessus. Elle fait de même en secret, dans ses rêves. Ainsi perdure l’exploitation des hommes en cage fumant du gasoil à toute allure dans un décors paradisiaque.

Lui : « Si le monde parlait Esperanto, il n’y aurait pas eu de problème et tu aurais compris ! »
Elle : « Pouvons nous changer de sujet pour les vacances ? J’aurais de toute façon pris le temps nécessaire. »
Le moustique : « D’après mes notes, nous devons absolument faire les comptes ce soir car les écarts se creusent. Je vais faire une petite sieste. »
Lui : « C’est prévu. »
Elle : « On nous prend vraiment pour des cons. J’ai envie de tout casser. Et toi qui ignore… Tout ça pour ne pas transporter ce sac tissé d’inutilité frappante ! »

Il faut croire que l’envie d’Elle a eu l’écho andin souhaité car sur le chemin du retour les fameuses voitures tombaient en panne comme des petites miettes semées les unes après les autres et un accident à la gravité gênante l’empêcha par la suite de penser au pire. On ne sait jamais trop la répercussion de nos désirs cachés.

Un invité surprise nommé plastique, incontestablement présent, dérange et surcharge les immensités. Ils ont les lignes de Nasca aux surprenants dessins ineffaçables coupées par la ligne panaméricaine bordée de poubelles abandonnées, qu’auront-ils demain au bout de leur ligne ? La nature est belle là où l’homme n’est pas. Pauvre Pachamama pourtant adulée à chaque coin de rue peuplée de chiens délaissés. La culture, un cas à part, est souillée par ses contemporains politiques aux sourires corrompus affichés honteusement sur les murs. Le cola jaune a la publicité assurée et engrosse considérablement la population ; fierté péruvienne nationale en sucre oui. Que reste-t-il de leurs incas ? Une devise sans doute, « ama sua, ama quella, ama llulla » : ne pas voler, ne pas paresser, ne pas mentir. Dans les villes, certaines femmes descendent des montagnes coiffées de deux longues tresses noires retenues par d’originaux pompoms colorés. Un chapeau plus que symbolique habille leurs traditionnels vêtements et un large tissu recouvrant leur dos transporte tricots et objets destinés au tourisme de masse. Là haut, les hommes savent cultiver en terrasses riches de diversité, moutons gardés, habits tachés, tandis que les exploitants assomment leur rendement. Certains vont encore à la mine, dure réalité. Les dents de leur sourire transmettent la gentillesse. Les yeux rident leur peau pigmentée de soleil. En ville, les klaxons aboient, les pots d’échappement puent, les collectifs crient à l’appel et la misère semble la même sur tous les visages. Pour ne pas couler, le lago Titicaca impressionne loin des sales rivages abritant de curieux échoués. Sur les îles, ils se réfugient et Elle mange sainement, enfin. Depuis l’arrivée, Lui et Le moustique clament les menus à huit soles des boui boui locaux, ignorants du contenu de leurs assiettes. Pourtant, Elle connait et avertit, au vu de l’hygiène non présente, il vaut mieux éviter. Rien n’y fera, ils s’engouffrent mutuellement dans un manque de bon sens éducatif. Le résultat est sans équivoque : l’intoxication accable la nuit suivante, miam, miam le cuy.

Elle : « Je te signale que la nourriture respectée de préparation m’importe toujours autant. En France on ose à peine mettre les pieds dans une brasserie à la décoration douteuse et ici on s’attable dans des garages à mouches aux murs enduits de friture et de noirceur à la provenance inconnue ? »
Lui : « Je ne suis pas disponible pour une discussion ! Tu ne vois pas que j’ai de la fièvre en plus des vomissements à répétition ? »
Elle : « Rassure-toi, tout le monde dans cette chambre est malade ! »
Le moustique : « On ne pourra pas se lever demain pour le vol du condor, impossible, c’est trop tôt vu notre état. »
Elle, trop polie pour dire ses quatre vérités à monsieur Le moustique, histoire de ne pas le blesser inutilement, pense à une réplique piquante de soulagement sirotant son mate de coca : « si tu passais moins de temps à dormir et un peu plus à ce qui peut rendre un périple sympathique à trois au-delà de ta petite personne, tu déambulerais les rues à l’affût de la perle rare dressée pour de bons mets au lieu de ramener sans cesse tes ailes comme une Castafiore aux pérégrinations douteuses ! »
Lui : « Ah… j’ai trop mal… Demain, j’arrête les glaces. »
Elle : « J’appelle un médecin. Bois plus d’eau. »

A trois l’accord est difficile, surtout de proche en proche. Elle abandonne toute sociabilité évidente laissant libre court à la suite sans illusion de partage puisque Le moustique sait tout d’avance quoi qu’il en soit, même discuter le fatigue, et Lui se cache sous son chapeau. Elle décide d’accepter l’éphémère afin de rendre les choses moins énervantes et enchaîne les « pisco sour » ironisant la grossièreté de l’étiquette : touristes de pacotille. Les arbres lui manquent.

Lui, guéri, calme ses ardeurs revenues d’outre-tombe ; Le moustique a beaucoup trop fatigué l’ouïe. Subséquemment, fort en pensées, Lui remue ses méninges pour solutionner les droits de chacun tandis que son sac demeure importable. La raison n’est pas là où un glacier parfume. Impulsivité non contrôlée, deux boules de glace au chocolat adoucissent les moeurs. Les minutes suivantes étonnent d’enfantillage. Pourvu que ça dure.

Le moustique s’en va, trompe trop élevée à l’aube de ses jours.

De virages en descentes, la douce harmonie se révèle silencieuse : Elle et Lui continuent l’aventure dans un tourbillon d’amour trop éprouvé. Lui recommence à croquer des bouts de pomme pour la nourrir afin de ne pas abîmer ses gencives trop sensibles. Elle lui redonne des petits noms d’animaux inévitablement craquants. Ils rigolent de complicité retrouvée et poétisent leur avenir. Un soir d’étoiles suspendues à l’autre bout de la Terre, il lui souffle à l’oreille : « dessine-moi un mouton ». Le coeur s’emballe d’envie quand soudain un bruit familieR dénote. Elle s’inquiète ; ils écoutent : « un moustique ! »

© Emilie ZébeRt

Ode naturelle

Le matin, nous cueillons les tomates charnues et ligneuses de bonne vieillesse que la tige velue délie de son extrémité. Le rouge pimente notre humeur calquée sur les environs brumeux d’une aurore nouvelle. Pudiquement observées, les formes intensifient leurs caractères. Doucement, un huileux parfum embaume les frétillantes papilles au réveil accusé de réception. Point de virulence, ici nous patientons. L’écoute du regard fige notre être, spectateur actif d’un tableau naturellement riche en devenir. Artichauts, aubergines, persil, oignons et basilic cohabitent dans les rangs fleuris d’oeillets d’Inde et de bourraches ornées de cinq pétales d’un bleu joyeux épousant cinq étamines à longues anthères provocantes de la corolle. Les bourraches sont le vingt-troisième jour du mois de floréal à la lecture du calendrier révolutionnaire français. Nos boutons s’épanouissent en cette période de paix. L’essence même du républicain sentie par Fabre d’Eglantine mesurant les jours non pas à de prétendus saints, duperie abrutissante et hasardeuse, mais bel et bien à un véritable trésor : la nature. Dans ton jardin Georges, « il pleut, il pleut, bergère ». La magie incite ces bourraches velues à convaincre nos charmantes limaces d’aller voir ailleurs tandis que la salamandre friande les attend lentement mais sûrement, rhétoricienne sans scrupules de la longévité ! En effet, le temps de le prendre se pose. Les tomates grossissent à l’unisson au coeur d’un bouquet bienveillant de compagnons de survie. Les coloris du tableau animent les abeilles du mois de germinal.

La pomme du ver rougit au gré des caprices saisonniers. Fruit tombé rétracte le museau initié du hérisson d’après-midi aux recherches incessantes dans l’astre de ses besoins. Si le trois novembre le topinambour régalait notre savoir, telle une référence annuelle, nous éviterions bien des oublis ! Je suis née le jour du girofle du mois illustré par le mulet, pattes aux guêtres de sauge, cerises dans le panier. La lavande en floraison patiente au soleil empli de promesse. À la fête sont le blé, le seigle et l’avoine. Des mots que rat scie : nous sommes dans les choux et ce depuis notre sainte naissance. La France bourgeonnante cuit la civilité des jeunes pousses décorée en béton armé, cui-cui. Le bruit sourd de notre terre grogne ses profondeurs inlassablement puisées lorsque l’éducation oublie la qualité de l’évolution positive disséquant autant de grenouilles rieuses, rousses, vertes ou des champs que d’élèves. « Et la douce brebis dont je porte l’habit ». A l’instar de nos vies moulées, nulle diversité dans nos prairies ni d’amis aux courbes irrégulières débordantes d’énergie. Que ces rangées de raisins sont vides et froides, vallées aux vents ; hysope, haricots, géraniums, origan, pois, ail et menthe sont tous priés d’uniformiser leur talent pour la prochaine récolte. De muguets en pensées, le chevreuil du bois se souvient des pêches et prunes aux noyaux rejetés docilement sur l’herbe fraîchement coupée, mésanges à l’affût. Ces pins dont les pignons ne racontent guère de salades, isolés des landes, apprécient pourtant bien la présence de feuillus délogeant chenilles processionnaires et autres nuisibles. Les tares humaines tracent une ère industrielle destructrice et assassine de nos vers précieux non « politic’autruchistes ».

Agriculteurs, on n’apprend pas aux vieux singes à faire des grimaces, avalez donc vos couleuvres ; éleveurs, nourrissez vos loups et vous serez bien gardés ; maraîchers, viticulteurs, point de sarments, vous avez tués nos terres. La vache à lait arrose vos corps de méchantes affaires, fruits et légumes luisent sur vos étalages de faux semblants et ces pauvres chairs saignent en rang au rayon frais de vos culpabilités. Monstres de la nature aux sillons d’avarice contemporaine, lorsque les poissons tomberont du ciel, vos têtes polluées ne sauront où trouver refuge. J’éplucherai la poire de mon ami et la pomme de mon ennemi. Le potager de mes envies sentira la violette de Colette et mes jours chanteront la semence de mes graines paysannes. L’amour à table, Valentin ton mois fleurit de perce-neige, de buis, de noisetiers, d’ifs et aujourd’hui de guèdes détrônées par de foutus colorants de synthèse. En pluviôse aime qui ose ! Et bien soit, je déclare mon amour aux palombes chassées, aux chevaux esclaves, aux lévriers battus, aux poussins morts nés, aux thons noyés, aux cochons pendus, aux souris de laboratoire et éléphants sans défenses. Rois de la peste, ici, de nos cultures, j’utiliserai vos engins pour broyer vos euros à l’éveil de la monnaie libre. Amis, je veux bien jouer la bonne poire bossue car voici ma chute : là où marcheront mes pieds nus, je cultiverai une botte de mots appétissants et sacrés de respect pour la carotte de mon dîneR.

© Emilie ZébeRt

La fleur au fusil

Il était une fois les premiers jours, centimètres, combats organiques, puis le cri du commencement. Henri Lejeune est un tour de magie. Né le 19 janvier 1951, poids plume de 4,200 kilogrammes émerveillant l’horloge pointée de ses aiguilles sur le X et le II, il est l’illustration parfaite d’un sourire pour les heures que son grand-père aime écouter par le biais du service téléphonique en haut parleur : au quatrième top, il sera exactement l’atmosphère active d’un passé qui n’est plus. « C’est la première fois qu’on me traite d’atmosphère ! ». La réplique est d’époque, la suite c’est Arletty criante sur un pont… Chez Pépé, on mûrit la cueillette de framboises au bout du fil. Premières dents coquines de grignotage en tout genre et quelques mots d’embrouille font valser la famille. C’est ainsi qu’opère sans tarder le charme du mauvais garçon. Henri c’est Toto, le rôle qui lui colle à la peau attribué par un de ces voisins témoin de la rouerie infantile et coutumière. Au début, les grands comptent pour les acteurs principaux de leur époque. Chaque instant agrémente démesurément l’avancée d’une vie, Toto en fait des histoires intenses de partage. Pas un temps mort ou une minute de répit, il ne le supporterait pas de toute façon. Et lorsqu’il ne fait pas des siennes, les aventures viennent à lui au galop dans un paysage congolais, destin acharné de péripéties curieuses et hors du commun. A 8 ans, une balle meurtrière frôle sa tête désobéissante sur le pont d’un bateau. Il aime toutes les filles à 10 ans, en particulier sa mère avant tout femme de son père qui porte le même prénom. Entouré de trois soeurs et un petit frère, il entretient sa renommée à la sortie des sentiers battus, copains à bâbord. Ado, les sens croisent l’horizon d’un bel homme grand, brun, ténébreux au coeur tendre que l’enfant terrible ne quittera jamais.

54 ans d’âge, le 5 février 2005, Toto répond enfin à mon dixième appel de la soirée : « je t’aime Emilie, c’est fini. »
Depuis, il est l’âme eRRante de ma vie tirée par cette balle perdue étouffant son émoi.

Toto avait une puce apprivoisée dans son paquet de cigarette qui, dès qu’elle me voyait, sortait le bout de son nez. Une patte en bois la caractérisait suite à une opération vitale au microscope qui la sauva d’une blessure. Boiteuse de ce fait, elle rebondissait, enjouée, sans que je puisse l’apercevoir ne serait-ce qu’une seconde ! Néanmoins, un après-midi d’été caniculaire, à force d’attention, je l’ai vue, là, pointée par le doigt indicatif de son maître, à l’affût du moindre mouvement : elle a sauté dans mes cheveux. La joie engendra un câlin réconfortant face aux doutes latents quant à la sincérité des propos de Toto. Il ne fallait surtout pas l’écraser, la puce à la fragilité certaine savait piquer de douceur. Son appartement liégeois était tapissé de bandes dessinées en tout genre, les Lejeune sont des collectionneurs, lui toujours plus que les autres. Les derniers jeux en vogue ornaient son salon chaleureux, les pièces d’échecs en rangées paraissaient immense à travers le cristal des carafes destinées aux bouteilles rares de la chasse aux trésors millésimés. Tout ce dont rêvaient les enfants se côtoyait chez Toto et Elliot, son labrador beige, une caresse de gentillesse. Les couleurs intensifiaient la générosité. Une promenade en quatre-quatre et nous voici tous deux, amoureux, main dans la main, en visite annuelle chez les commerçants du coin, enchanteurs de cadeaux pour maman, sa soeur aimée. J’étais sa fiancée du jour et les femmes me regardaient d’envie du haut de mes 12 ans. Nombreuses étaient les actrices de ses dérives, je le sentais bien. Il aimait décorer les intérieurs la main sur le coeur mais lui, je me demande qui le décorait vraiment. La force impressionnante de ses bras façonna ma vieille maison du sud en un chef d’oeuvre de bien être. J’admirais, émerveillée, son visage et ses grandes mains laborieuses. Son ventre grossissait au fil des mets et ses cheveux s’éclaircissaient quand je grandissais. Je ne lui connaissais que les chaussures bateaux pour ses petits pieds. Les surprises envahissaient nos retrouvailles grandioses, trop éloignées, hélas, les unes des autres.

L’éternité de ces sentiments momentanés éblouit inlassablement mes yeux de filleule.
Le grand homme n’eût jamais d’enfant, il n’en demeure pas moins un papa de mes jours heureux.
Aujourd’hui, je songe à son immense trou dans le corps.

Il est mille fois mon passionné. Adulte, Toto plonge souvent dans les profondeurs étourdissantes de l’humanité. Inconsolable de séparations douloureuses, victime de ses propres qualités, on ne peut tout aimer sans peiner quelques uns qui nous peineront en retour. Lorsqu’il remonte à la surface, la respiration exige l’acceptation du temps qui passe et de ceux qui ne comptent plus pour nous. Oh ! Mon cher Toto ! Je sais maintenant le chagrin d’indignité familiale, l’absence de ceux qui balançaient l’équilibre, la particularité d’un caractère à part entière. Je connais cette femme coupable de méchanceté pour le pire. Le malheureux poison coule en toi, la tragédie afflue abondamment pompée par le courant infaillible de ne plus être à la hauteur des sommets atteints autrefois. C’est tellement facile pour ceux qui ne se sentent jamais coupable de rien ; combattre ses propres démons plus que de raison est la pire des mortalités. Ton oncle s’est noyé, les aiguilles du temps du vieux Pépé ne parlent plus, et toi, mon parrain, tu coules sans bouée dans le rouge criminel d’une balle striée de vulnérabilité. Finalement ton désespoir a la force d’offenser les pires d’entre nous, l’impact est décisif. Le chant des baleines ondule dans mes oreilles, auprès de lui j’entends ta peine scandaleuse et enivrante de puissance. Le massacre des baleines maintenant proscrit de justesse, qui donc aurait pu te libérer ? Je me bats pour elles comme pour toi car il n’y a plus assez de toi dans les alentours, je ne suis plus couvée, vois-tu ? En séquence sans con, je décore en ta mémoire mon intérieur de beaux tissus, de fleurs au fusil et balle à blanc. J’espère un jour te rendre la pareille, dans une autre vie, ailleurs, là où tu seras. Maman est précieuse de fragilité brute, c’est un peu mon diamant de votre Afrique ; mon oncle, tu as toujours son éclat à la place du tRou au côté gauche.

Toto, je t’aime aussi.

© Emilie ZébeRt

« Parfois, lorsque je levais les yeux vers elle, assis derrière la table, dans mes culottes courtes, il me semblait que le monde n’était pas assez grand pour contenir mon amour. » Romain Gary.

Toc Toc Toc

Si ce soir le dernier souffle frappait à votre porte, quel vent guiderait vos ailes ?
Celui qui oriente au large des côtes traditionnelles éclairées par les phares sur le sol de nos habitudes ou celui qui claque les volets réunissant les siens autour de l’accueillante cheminée enflammée par les méandres de nos âmes ?

Je suis Gustave, aujourd’hui je pars en mer et non sans mal. A l’abordage moussaillon ! Il est temps de côtoyer le grand air : toutes voiles dehors, adieu beau rivage ! L’aventure émerge ainsi des flots alors que la faim alerte nos vies depuis la traversée courageuse de nos terres. Cap au compas, les rosaces de nos destins se fixent désormais au Nord abandonnant sauvages paysages. A l’embarcadère de nos instabilités, une frayeur enveloppe soudain mes doutes. « Larguez les amarres » disent-ils, les miens sont déjà si loin… Le bonnet rouge tricoté par Granny me rassure, je pense à l’occident de mes désirs, il semblerait que Cousteau chaperonne mon périple. Oh Calypso, enlève cet air triste étranglé de conditions misérables, visage de tes voyageurs. Pour ma part, la découverte excite le papillon naissant, éphémère des temps modernes, puisse-t-elle être à la hauteur des chants qui ont guidé ma jeunesse. Angélus de la mer, aurai-je ton soutien au fil de l’eau tourmentée par tes vagues ? A vrai dire, je suis vierge de navigation, tu fais danser mes pieds sur la coque de tes entrailles ignorant de qui peuple ton infini. Au Katanga nous disons « kipya kinyemi ingawa kidonda » (une nouveauté a son charme, même si c’est douloureux) et crois moi, je souffre. Sans crier gare, dame nuit habille le ciel du noir de sa parure ne faisant qu’un avec l’océan des curiosités. Le sommeil atteint alors la lueur de mes inquiétudes. Demain serai-je vraiment loin des frissons de l’horreur ?

Les pleurs du goéland éveillent mes sens chavirés par l’odeur humide et la saveur salée de la commissure de mes lèvres. Mes paupières lourdes ont peine à réaliser l’intensité lumineuse éblouissante de splendeur. A bord de tout soupçon, ma réserve d’eau est moindre… Malaises en cascade battent le rythme des courants écumés par les songes d’une nuit volée.
Bonjour belle mer, ton tumulte manifestement encré au plus profond de tes abysses confondait mon ignorance. Puis-je être ton adopté ? Ma terre a colorié l’orphelin que je suis, si mon souffle te déplaît, entends ma requête, je t’en prie. Eau toute puissante, soigne ma soif et bannis l’épuisement latent. Apatride d’hier, « ah mer ride » j’inventerai demain, mots pour maux, mon entièreté faisant foi.

Quatre jours durant, faim au ventre, espoir en main et balivernes aux oubliettes, je refuse d’être une victime de plus, une de trop. A bout de force, Mirage a raison de moi. C’est ainsi que je nomme un matelot imaginaire de circonstance, Mirage, curieux compagnon de traversée. En toute simplicité, nous échangeons : « Nous partîmes cinq cents, mais par un non renfort, nous nous vîmes trois cents en arrivant au port »… Ah ! Vieille corneille ! Aussi rouillé que la poupe, le vent en grâce, je ne sais quelle énergie me maintient en vie. La faiblesse des autres ne doit pas m’abattre, trop ont déjà salué l’eau de là. Nous résisterons Mirage, pour nos frères, pour nos rêves. Et si j’étais resté auprès de mes balubas ce soir, j’aurais mangé peu mais chaudement admirant Shani à la lueur des flammes endiablées de désir. Mes yeux s’aveugleraient sur ses seins partageant des hanches généreuses, je boirais son corps, osmose parfaite rayonnante dans l’immensité brutale d’une si rare beauté. Un aiR chaud me remplit, Shani, j’avancerai en toi sur ces terres inconnues, c’est promis, nos ardeurs vaporeuses parfumeront bientôt ma peau. Immédiatement parti, je reviendrai Fidel pour nos vies. Mirage, aide-moi, orteils et mains gelés j’hume l’effluve, fiévreux, ma tête ensommeillée plonge lourdement à la dérive de mes folies. Là-bas, on aurait pris soin de moi. Shani je sais que tu danses pour les esprits voyageurs, je le sens, je te vois, petit cheval fougueux, je t’aime tant, mon coeur s’emballe, battons la chamade !

Au secours, je me noie, vide joie … – – – …

Aurais-je fait tous ces efforts, toutes ces concessions sans jamais tanguer le Paris que Granny contait si bien ? Est-ce ainsi que se termine les aventures de Cousteau ? Calypso, ta fougue de clapotis, serait-ce un bravo ? Et Shani, quand te reverrai-je ? Non, non, non !

Où suis- je ? Larmes du ciel cognent-elles une fenêtre ou est-ce de nouveau la houle de tes caprices ?

« ¿ Hola que tal ? » Je n’oublierai jamais cette voix pleine de vie terrestre aux sonorités étrangères. Depuis, chaque « bonjour » partagé a beaucoup plus qu’un sens de politesse bien pensante. Si vous frappez chez moi, du toc toc toc, un « mi casa es tu casa » fera dorénavant écho.

Paris attendRa, ici on me sauva !

© Emilie ZébeRt

Vendredi 13

Citoyens de demain, à nos arts, à nos bars !

Jeunes gens, l’amertume coule dans nos gorges
Serrées par les griffes innommables de honte
Répandue à l’instar de vos si tristes vies.

Mort semée sera graine de votre déclin !

Les mots ne tueront guère les armes crieuses
Et les larmes de Seine ont le rouge colère.
Lorsque terreur habite vos âmes fertiles,
Nos moeurs crient liberté ; Histoire, souviens-t-en !

Demain, amour, nous serons dignement fervent.

Mots croisés de balles raisonnantes fluctuent
Dans l’antre cruelle assombrie de sévices
Assiégée d’illusions violées et dérisoires !
Infinie tristesse, hélas, tu reviens de loin.
Oh ! Laisse tes chiens tranquilles et dociles.

Charlie, Romain et les autres, pardon, pardon.

Demain, vide sera le jour, non sans nos vers !
Chantez, scènes de rue, salles de rire, enfants,
Jouez au soleil, propice lueur vitale.
La nuit, rêvez, brillantes étoiles, dansez ;
Ailes de joie, éveillez Paris et ses toits !
Quant à vous, charognes, tremblez. Vive la paix.

« Fluctuat nec mergitur », ni Dieu, ni maîtRe.

© Emilie ZébeRt

De vous à moi

Elle respire, c’est une fille. Vivace, elle grandit sans préavis, aujourd’hui elle rebondit près de lui. Appelez-la Élise pour la lettre. Etranges sont ses convictions et son optimisme déjanté. Tel un caméléon, elle a su harmoniser sa vie malgré un certain manque d’équilibre, selon eux. Eux c’est vous, c’est moi, c’est elle. Les conversations la nourrissent, artisane de la bonne discussion, elle l’entame sans rond de jambe. Si jamais un homme, puisqu’elle est femme aujourd’hui, n’a d’intérêt que pour sa beauté, elle en joue terriblement, fatale en impétuosité. A contre-courant, sa singularité attire les passants hasardeux. Son salon littéraire est populaire, elle ne « Boileau » qu’en représailles. Constamment à la recherche des autres, au-delà de leur savoir, c’est l’humanité qu’elle décèle, certainement la peur de l’abandon, une fois n’est pas coutume. Autant souligner ses silences inquiétants qui mènent à la dérive son entourage. Si Élise se tait, Chloé écume ses jours.

Chloé, non loin des nénuphars, vit nue, hantée par d’innombrables utopies. L’aiR perdu, parfois même un peu triste, le peintre sait les détours de son visage et la convoite impunément. Si seulement l’homme de tous les hommes était, elle chanterait la tendresse. Hélas la mélodie de ses songes ne trouve grâce qu’à des heures farfelues. La poésie masculine rime à l’aurore d’une aventure puis l’imaginaire doit combler la suite par amour. Une tragédie répétitive, une histoire de lever de soleil. Enfin l’enfant désiré ne connaît pas encore le visage de son père. Dure réalité couronnée d’incertitude fatigante. Son amie, sans moindre mesure, la soigne. Grâce à leur affinité Chloé a saisit la chance du « moins pire » masquée par un sourire conventionnel. Recroquevillée lorsqu’elle s’endort, un ange veille sur ce petit oiseau nappé de duvet sous ses plumes. Pure câline, il l’enroule dans ses ailes prétextant un meilleur lendemain ; il l’aime, elle s’en assure, naïve, avant de perdre toute illusion.

La musique éveille malaisément Roxane encore noyée dans les vapeurs nauséabondes de la veille. L’oeil hagard, elle se souvient de cet homme féministe qui a charmé sa soirée, il était belle. Roxane, à la personnalité débordante, n’a peur de rien. Rafraîchie à l’eau bellifontaine, fin prête, elle sillonne les routes parisiennes, cavalière des temps modernes. Les terrasses l’entraînent d’euphorie en moments partagés, sans tabou, ni kangourou, elle s’en fout ; ce soir elle joue, hibou, caillou, genou. Demain la salle sera scène, elle rira sans doute, essuyant les verres des accoudés du bar. Imprévisible, Roxane peut jaillir si l’injustice mord son oreille, « prends garde à toi ». Le scandale nourrit son aura, pas de repos au combat, elle affronte, effrontée, effarée, affamée. Elle a la force pour les faibles et s’amuse comme vous vous ennuyez. L’indigence l’horrifie, de ce fait, sans scrupules, elle se prononce puis dénonce à ses risques et périls. Ensuite nous verrons bien, des aventures elle en a plein, rien ne la retient.

Bérénice prend racine dans sa cabane. Plantations côtoient guirlande, bouquins, bibelots, cadres et boîtes. Une vie pleine de détails exposée dans cet atelier à coeur ouvert. Le choix précautionneux de leurs emplacements l’inspire lorsque les pinceaux guident ses mains sur la toile ou que ses doigts s’agitent sur les lettres pour les mots de ses idées. Côté casseroles, la vue de sa fenêtre digne d’un décors de la nouvelle vague influence les recettes qu’elle explore au croisement des gourmandises. Bérénice filme sa cachette de la rue Lhomond car les souvenirs envoûtent ses moulures. Là où Roxane dérange, Bérénice arrange, méticuleuse et ordonnée malgré son incohérence. Elle flâne du lit au bureau, chaussures dans un coin, miroirs suspendus, vêtements éparpillés. Musique en l’aiR, elle danse, voisins à l’affût, mouettes sur cheminées puis épouse sa baignoire, les yeux dans le ciel. Croissants chauds et oranges pressées, ce sont les matins aimés. La coquetterie n’est qu’une affaire de badinage.

A l’octobre de mes « moi », je suis de nouveau une autre d’entre elles. Elise, Chloé, Roxane ou Bérénice habitent le même corps, celui que, des soeurs Brontë, l’on nomma Emilie. Nous rêvons ensemble d’une accordeuse qui ajustera nos dérives, élèvera nos esprits, cultivera le savoir dans l’écoute respectueuse de notre environnement peuplé de voyages sans frontières. Nomade de l’instant, l’Homme que nous sommes unira nos libertés, bonheur dans les valises, destination le partage. Ne pas dilapider notre temps de vie, ni gaspiller nos humeurs, attiser la sobriété, la réflexion, la curiosité rebelle loin du pouvoir politique démoniaque et autodestructeur. Nous nous battrons sans cesse face à l’abondance abusive de nos contemporains éblouis par le paraître ridicule qui creusent des inégalités irréversibles. Surtout nous sommes Femme prête à mourir pour les siennes et créatrice d’un nouveau monde. L’expérience génère une remise en place perpétuelle de notre respiRation, nous sommes ce que nous faisons. Et vous ? Comment vous appelez-vous ?

© Emilie ZébeRt

Entre Ciel et Terre

Le train berce mes yeux à la vue des nuages. Le ciel est habillé ce matin, la journée va être mouvementée. Des silhouettes familières se dessinent et envahissent mon âme d’enfant. Le vent s’improvise chef d’orchestre, j’entends au loin l’harmonie des rayons du soleil s’accorder sur les gouttes d’eau. Soudain suspendue au milieu d’un nuage dévoilant une souris, je plane au dessus de ma vie. Les images intenses disparaissent au rythme de la vitesse du train, la tête tourne légèrement, ce manège fête la joie en symbiose avec ma romance, la douce folie prend place voiture 18.

Une sirène expose son corps, bras couronne, tandis qu’un canard à trois pattes l’avoisine guilleret.        Rapidement l’un dans l’autre, un rocher s’élève, refuge du jeune chevreuil craintif aperçu tantôt.        D’autres pics, caps et péninsules s’unissent à ma vue composant furtivement une immense chaîne de montagne.        Inopinée une truffe chaude embrasse la neige blanche sans la moindre retenue. Je reconnais là mon ami adoré, « glissons ensemble sur les sommets enneigés », lui dis-je. Inconsciemment j’entame une discussion avec lui. Il n’y a qu’à travers les nuages que cela est possible. Ce chenapan poilu, renifleur de cèpes, est intelligent de fidélité. Les carottes sont crues, les cornets de glaces se partagent, je tombe à vélo et je te câline : les souvenirs inondent mes yeux face à notre complicité illustrant un ballet de jeux insouciants. Mon coeur s’emballe.        Le train lui ralentit, premier arrêt, la route est encore longue.        L’enfance peint le ciel pendant que les nuages s’entremêlent ; pêle-mêle, tu t’éloignes.        Mon patou, attends, je n’ai pas tout dit.

L’instant est propice à l’agitation des voyageurs. Une onde stressante et peu agréable envahit l’atmosphère : je patiente, violée dans mes pensées. Je ne peux m’empêcher d’observer les situations grotesques qui emprisonnent ces gens. Le trop sérieux mondain tâtonne sans ampleur et les costumes sont de mauvais goût. Ce soir je fumerai ma pipe au dessus de Paris, riant de mes acolytes journaliers. Je prendrai le temps de penser à ceux qui n’ont le temps de rien et qui emportent avec eux des valises fatiguées d’être vides. Une pièce de théâtre ne devrait être redondante, d’une représentation à l’autre l’improvisation éveille, surprend, ravit et nourrit l’histoire de notre vie. Je ne la vois nulle part ici, je ne ressens qu’une espèce de lassitude pesante. Heureusement, la douceur d’un baiser illusionnera ma soirée, un regard apaisera mon âme. « Le salut de l’homme passe par l’art » alors je peindrai sans savoir, par amour. En attendant, les rails guident mon chemin et je rejoins l’aiR des nuages qui vaporise des sensations oubliées voire essentielles. Parfois je les fuis, aujourd’hui je les cherche.

Chopin chatouille mes oreilles, le classique m’invite donc à contempler ma mère. Elle danse au milieu des rayons du soleil, m’accompagne et survole mon tableau. Belle enfant sauvage, tout me fascine chez elle, des éléphants d’Afrique aux chats perchés dans sa demeure. Pins perdus, nous nous attardons au fil de chaque saison à la cueillette des fruits de nos envies. Gourmande, je bois dans ses bois reposants. Notre demeure dessinée s’apparente dorénavant à un pissenlit. Inévitablement je souffle, libérant ainsi un champs de tournesol tournoyant à l’horizon. Mes lèvres étirent un sourire admiratif évoquant Klimt, Van Gogh et Monet derrière ce miroir jauni.

Je ponctue mes idées d’exclamations laissant l’interrogation de côté et je pointe avec virgule les mots. Attentive à l’intimité curieuse des sentiments troublés par le temps, alors que mes paupières s’alourdissent, les nuages confortables m’installent au milieu de ceux qui m’émerveillent. Une pluie de pavots révèle Morphée, alchimiste certain de mes douces rêveries, c’est avec ce papillon qu’il faut dès lors négocier la fin de mon tRajet.

© Emilie ZébeRt

Vague à l’âme

Une bouteille vient orner le paysage de son quotidien. Il aime les jolies étiquettes mais difficile de distinguer l’écriture de loin. Avec beaucoup d’attention, curieux et animé par une irrésistible envie, il suppose : « Château Cheval Blanc ». Le mystère prend place, un nouveau monde ensoleillé hante ses divines rêveries, il imagine une robe grise s’éclaircir avec le temps dans le cristal accueillant de son âme. On « Henri » au galop. Il semble apercevoir sous l’appellation : 1984, coïncidence subliminale, il est amoureux.

Les jours puis les mois passent, rien ne trépasse, il l’observe, silencieux.

Majestueuse la bouteille sombre l’attire sans cesse, il pense à la complexité qu’elle dégage, à son élégante fraîcheur. Il espérerait tant la goûter en trinquant à la santé de tous les grains de sable qui l’élèvent royalement. Si seulement il pouvait lire l’étiquette, savoir d’où elle vient et la raison de sa mise en valeur évidente. Son histoire l’intrigue, on passe, on la regarde, on la manipule délicatement. Elle illumine les alentours à travers le peu de lumière dont elle a droit, c’est éblouissant. Elle réside, attirante, admirée, enviée, sublimée tel un joyau rare, un rubis qui fait tourner les aiguilles du temps au rythme des battements de son corps et quel corps !

Lui jalouse ses semblables, il est le verre qu’il lui faut, il le sait, il la veut, il jubile. Il a l’âme du lion rugissant et hume gravement le sol argileux. Il est la couleur qu’elle suggère, sa paraison large et profonde l’accueillera goulûment. Il a la jambe haute parcourant son ventre étiqueté afin d’épouser ses épaules, le pied hexagonal festonné pour son jable, le décor taillé et unique pour l’harmonie des arômes tout droit sortis de son col étroit laissant deviner une bague parfaitement ajustée. Il attend le cheval indomptable déjà dressé face à l’obstacle bouchonné qui, plein de puissance, hennit ses origines.

Les mois puis les années passent, rien ne trépasse, il l’observe, patiemment.

Le maître des lieux caresse du regard la désirée et murmure intimement « Mon Saint-Émilion ». Incroyable, une girondine, le verre avait jaugé les bonnes formes. Une table ronde éclairée d’une bougie à la cire chaude invite la bouteille et le verre au milieu de la cave aux merveilles. Dans une intimité gênante, le maître les abandonne un court instant afin de s’armer d’un couteau de sommelier. Le temps n’a plus d’âge, l’aiR est humide, le verre chante, la température semble de circonstance.

La coupe de la capsule est nette et droite. Une fois le bouchon délicatement retiré, le vin prend l’aiR et la bouteille dénudée peut enfin s’exprimer. Méritante d’un tel rituel, pourtant discrète, elle libère quelques effluves enivrantes qui font chavirer le verre de bonheur. Le maître ne tarde guère et la couleur tuilée de sa robe s’écoule précieusement le long de la cheminée du verre scintillant. C’est une marée pleine de sensualité, un élan délicat inoubliable, un instant précieux tant attendu. Le vin s’installe fièrement dans le verre dansant au creux de la main du maître autour de la bouteille illustrée si finement, de près c’est encore plus intimidant.

A la nôtre mon amour, que cette nuit soit notre ivresse !

Le vin divin n’est plus. La table, le verre et la bouteille demeurent dans l’odeur la cire sculptée par la flamme magique de la nuit fruitée. Le crime est parfait et ce jusqu’à la lie décorative. Le tableau suffit à imaginer l’intensité du partage charnel de ce premier grand cru classé X. Quant au millésime, considéré comme le plus difficile de sa décennie, la surprise est franche, merci Cabernet, Merlot a souffert, hélas ! Vague à l’âme, le verre et la bouteille ne resteront vides qu’en appaRence.

© Emilie ZébeRt

A Jeannette

Un homme et une femme à l’écran berce la chère nuit de notre amour tandis qu’une araignée se glisse sous mon pull sans crier gare. Une sensation étrange chatouille ma peau faisant naître l’épouvante dans le lit où nos corps, à peine couchés, isolaient la quiétude. Tu me calmes, serein, il est trop tard pour mes psychoses. De fait, un cheveu mal placé s’installe sous l’aile de mon imagination, apaisant ainsi mes sursauts importuns.

L’envie de dormir nous sable les yeux, l’inutilité du pull habille ma réflexion, je me dévêts hâtivement. A mi-hauteur, lorsque ma tête se baisse afin de donner à mes bras l’extension nécessaire, je l’aperçois active sous mon sein gauche qui remonte brusquement vers mon visage, arrogante du bout de ses pattes épaisses d’un noir certain, le corps lourd et interrogatif, l’aiR de dire : « pourquoi me découvres-tu de la sorte ? » La frayeur est immédiate, debout et nue aussi vite que possible, tremblante de sueurs froides, je frotte peau et cheveux d’un acharnement maladif afin de déloger l’imposteur. Tout autant paniqué dans l’ignorance, tu la cherches attentivement. Elle est à terre, inerte, repérée grâce à sa corpulence impressionnante, de près comme de loin. Pauvre dame violemment expulsée par mes soins contre le mur, le tout accompagné d’un cri à résonances multiples. Heureusement la surdité arachnéenne est bel et bien effective contrairement à celle de nos voisines affolées par tant de raffut. Affaiblis, il est temps de se dire adieu, étonnés par cette nouvelle rencontre.

Ce cadeau de notre précédent séjour campagnard éprouve nos échanges. Jeannette aurait sans doute préféré le bouquet champêtre, humble décoration sur cheminée, non loin d’une issue de secours. Au lieu de prudence, elle s’est promenée le long de mon épaule, m’a effleuré si légèrement le sein puis l’aisselle, côté cœur. La grosse araignée s’est enveloppée dans le pli de mon pull justement remonté au nombril suite à l’agitation. S’économisant ainsi au chaud, les huit pattes sur ma peau accueillante, elle s’est faite toute petite jusqu’à la découverte. Pas une piqûre ou une morsure, nulle trace. Un souvenir particulièrement angoissant somme toute, injuste pour Jeannette dont la place surprenante n’a éveillé que trop tard ma curiosité. J’espère que sa dernière heure de vie au contact de ma couverture naturelle lui aura apporté le confort nécessaire au vu des circonstances.

Les superstitieux me croiront chanceuse, les pessimistes diront l’inverse puisqu’elle n’est plus. À vrai dire, je suis simplement émue pour Jeannette l’effrayante meurtrie, trompeuse d’apparence et naturellement utile. Une fille de la campagne bien mal aguerrie me distingue étrangement. Merci mon amour d’avoir mis fin à l’hystérie inconsciente, primaire et douloureuse. Elle ne reviendra plus, mes nuits seront paisibles et je sais combien cela t’a coûté d’accompagner son corps, j’ai entendu le murmure de ta voix. À ma place ton instinct aurait été similaire, dis-tu rassurant, sauf que l’attaque n’était qu’imaginaire. Pardon Jeannette, la fabuleuse inattendue ! Mes bras auront couvé généreusement ce dont j’ai le plus horreur ! Je pense à la nuit où ses bébés prendront la relève à base de câlins chez d’autres qui s’accoutumeront aisément. J’imagine cette dame de pique être un exemple de mère arachnéenne, fervente défenseuse de la paix et de l’union. Dorénavant, une nouvelle cohabitation n’animera plus mes peurs. Mes rêves ne seront que meilleuRs.

© Emilie ZébeRt