La balle aux bons

Mia tombe au milieu des roues glissantes du boulevard des Capucines. La transparence de son chemisier blanc accuse la pluie battante sous le regard d’un journaliste. Elle sortait du Grand Hôtel faire la paix au café du coin et n’avait qu’une chaussure pour ses deux pieds. C’était un accident.

Le corps étendu sur le froid du bitume ne répond plus à l’agitation. Le seul scandale qui l’anime est le souvenir de cette nuit passée dans les yeux de son amant.

Le temps mort n’a pas été sifflé, Mia joue encore, inconsciente de son état physique : le ballon est pour l’équipe adverse dont le meneur est son amant, numéro quatre, même poste, même chambre. Seul un magnétisme extrême pouvait attirer ces deux joueurs en quête de victoire sur un terrain glissant. L’entre-deux était plus fort qu’une frappe haute et directe. Le match ne pouvait débuter par une simple action, ce fût un accrochage de dribbles entre les jambes et derrière le dos que la technique de Mia mena en huit secondes vers une passe décisive à son ailier pour un tir direct à trois points. Son ailier était sa vie d’artiste. Elle dansait volontiers dans le restaurant de sa responsabilité où ils se sont rencontrés. Elle y contait les plats du jour aromatisés d’envie, lui éternisait ses déjeuners d’affaires. Ils se cherchaient gaiement. Cette luxueuse brasserie était le pari du vieil ami pour qui elle entraînait la compétition financière de ses services. Une défense de zone s’organisait mais Mia comprit rapidement que la vision globale du jeu ne suffirait pas car son amant était un soleil aixois élégant du coude, plié correctement dans l’axe, à la main dessinée pour un joli tir. L’attaque de ce dernier fût franche, les autres criaient l’alerte tandis que Mia caressait une défense individuelle ressentant une attirance peu commune, une évidence de vie, une concordance d’actes irrésistiblement profonde. Ils savouraient la même potion pimentée d’humour. Dès sa première action, l’amant ajouta deux points, seul, illuminé, résultat d’une feinte de passe imprévisible qui trompa tout le monde. Elle, roulée dans son bras sculpté de provocation, n’était pas dupe. Le premier quart temps, rythmé d’un sans fautes, était une découverte en suspension de partage physiquement intense et semblable à deux révoltés.

Le pivot d’en face écoutait la voix de son amant accompagnée de quelques accords de guitare appris lors d’une contre attaque qu’il ne fallait pas oublier. Mener chaque action avait son importance, rien n’était laissé au hasard. Pourtant, ces deux-là n’avaient pas prévu un tel orage laissant sur la touche leurs compagnons respectivement amoureux d’une idylle choyée. Défense à Aix-en-Provence, changement de terrain à Londres, quelques lancers francs de Rome à Barcelone où claquaient les double pas dans les ruelles. Ils smashaient sur les écrans et régalaient les vrais champions aux baskets usées dans les sous-sols parisiens. L’arbitraire de Mia narguait les prolongations avant toute fin possible. Son amant comptait les trois secondes dans la raquette punissant son corps de plaisirs. Le délai était impatient, comme eux. Il y eût un aiR ball vers Dubaï que l’amant voulait chanter à Mia sans récupérer le rebond. Ils se blessèrent, il lui déchira le maillot d’un coup sec des seins jusqu’à la taille, un trait direct, droit et violent dès sa remise en jeu. Les quelques fautes offensives suivantes ne pouvaient être qu’excessives. Mia accusa maladroitement une reprise de dribble. Lui l’enchaîna sur un traveling régalant les foules. Il ne s’agissait plus de gagner un titre nommé, ils s’excitaient repoussant les limites plus loin. Les écrans survolaient le restaurant amusé de Mia où il dépensait son temps. Un regard suffisait aux amants réguliers. Eux seuls embrassaient le danger, devinaient l’épreuve qui en découlerait inévitablement. Les équipes vivaient leur face à face telle une vie rêvée, ils savaient que ce match changerait la donne. Quelques minutes ont renversé leurs techniques de jeu infaillibles, leurs maîtrises de prévoyance et leurs visions toutes faites si semblables. Il n’y avait pas de retour possible. Il lui démontra avec précision comment relever le coude pour marquer à tous les coups à domicile et provoqua l’accident à l’extérieur.

C’était la mi-temps. Un passage en force de son amant suffit à réanimer le corps de Mia dos aux cancans parisiens. Il remit chaussure à son pied et l’emmena au soleil de ses pulsions. Il savait pertinemment qu’elle jetterait tout à terre pour continuer la rigolade. Ce sont deux maîtres en la matière. Ils décriront plus vite les premiers jours du reste de leurs vies, les yeux mouillés de sel, et souriront à la folie des jours heureux.

Si vous croisez deux drôles de meneurs dans un des hémisphèRes, sifflez leur donc la suite, ils n’attendent que ça !

© Emilie ZébeRt

3 réflexions au sujet de « La balle aux bons »

  1. En deux mots comme en un (n’est-ce pas Béa !!!) une très belle et romanesque nouvelle. On espère bien une suite heureuse 😉

À vos mots !