Ode naturelle

Le matin, nous cueillons les tomates charnues et ligneuses de bonne vieillesse que la tige velue délie de son extrémité. Le rouge pimente notre humeur calquée sur les environs brumeux d’une aurore nouvelle. Pudiquement observées, les formes intensifient leurs caractères. Doucement, un huileux parfum embaume les frétillantes papilles au réveil accusé de réception. Point de virulence, ici nous patientons. L’écoute du regard fige notre être, spectateur actif d’un tableau naturellement riche en devenir. Artichauts, aubergines, persil, oignons et basilic cohabitent dans les rangs fleuris d’oeillets d’Inde et de bourraches ornées de cinq pétales d’un bleu joyeux épousant cinq étamines à longues anthères provocantes de la corolle. Les bourraches sont le vingt-troisième jour du mois de floréal à la lecture du calendrier révolutionnaire français. Nos boutons s’épanouissent en cette période de paix. L’essence même du républicain sentie par Fabre d’Eglantine mesurant les jours non pas à de prétendus saints, duperie abrutissante et hasardeuse, mais bel et bien à un véritable trésor : la nature. Dans ton jardin Georges, « il pleut, il pleut, bergère ». La magie incite ces bourraches velues à convaincre nos charmantes limaces d’aller voir ailleurs tandis que la salamandre friande les attend lentement mais sûrement, rhétoricienne sans scrupules de la longévité ! En effet, le temps de le prendre se pose. Les tomates grossissent à l’unisson au coeur d’un bouquet bienveillant de compagnons de survie. Les coloris du tableau animent les abeilles du mois de germinal.

La pomme du ver rougit au gré des caprices saisonniers. Fruit tombé rétracte le museau initié du hérisson d’après-midi aux recherches incessantes dans l’astre de ses besoins. Si le trois novembre le topinambour régalait notre savoir, telle une référence annuelle, nous éviterions bien des oublis ! Je suis née le jour du girofle du mois illustré par le mulet, pattes aux guêtres de sauge, cerises dans le panier. La lavande en floraison patiente au soleil empli de promesse. À la fête sont le blé, le seigle et l’avoine. Des mots que rat scie : nous sommes dans les choux et ce depuis notre sainte naissance. La France bourgeonnante cuit la civilité des jeunes pousses décorée en béton armé, cui-cui. Le bruit sourd de notre terre grogne ses profondeurs inlassablement puisées lorsque l’éducation oublie la qualité de l’évolution positive disséquant autant de grenouilles rieuses, rousses, vertes ou des champs que d’élèves. « Et la douce brebis dont je porte l’habit ». A l’instar de nos vies moulées, nulle diversité dans nos prairies ni d’amis aux courbes irrégulières débordantes d’énergie. Que ces rangées de raisins sont vides et froides, vallées aux vents ; hysope, haricots, géraniums, origan, pois, ail et menthe sont tous priés d’uniformiser leur talent pour la prochaine récolte. De muguets en pensées, le chevreuil du bois se souvient des pêches et prunes aux noyaux rejetés docilement sur l’herbe fraîchement coupée, mésanges à l’affût. Ces pins dont les pignons ne racontent guère de salades, isolés des landes, apprécient pourtant bien la présence de feuillus délogeant chenilles processionnaires et autres nuisibles. Les tares humaines tracent une ère industrielle destructrice et assassine de nos vers précieux non « politic’autruchistes ».

Agriculteurs, on n’apprend pas aux vieux singes à faire des grimaces, avalez donc vos couleuvres ; éleveurs, nourrissez vos loups et vous serez bien gardés ; maraîchers, viticulteurs, point de sarments, vous avez tués nos terres. La vache à lait arrose vos corps de méchantes affaires, fruits et légumes luisent sur vos étalages de faux semblants et ces pauvres chairs saignent en rang au rayon frais de vos culpabilités. Monstres de la nature aux sillons d’avarice contemporaine, lorsque les poissons tomberont du ciel, vos têtes polluées ne sauront où trouver refuge. J’éplucherai la poire de mon ami et la pomme de mon ennemi. Le potager de mes envies sentira la violette de Colette et mes jours chanteront la semence de mes graines paysannes. L’amour à table, Valentin ton mois fleurit de perce-neige, de buis, de noisetiers, d’ifs et aujourd’hui de guèdes détrônées par de foutus colorants de synthèse. En pluviôse aime qui ose ! Et bien soit, je déclare mon amour aux palombes chassées, aux chevaux esclaves, aux lévriers battus, aux poussins morts nés, aux thons noyés, aux cochons pendus, aux souris de laboratoire et éléphants sans défenses. Rois de la peste, ici, de nos cultures, j’utiliserai vos engins pour broyer vos euros à l’éveil de la monnaie libre. Amis, je veux bien jouer la bonne poire bossue car voici ma chute : là où marcheront mes pieds nus, je cultiverai une botte de mots appétissants et sacrés de respect pour la carotte de mon dîneR.

© Emilie ZébeRt

9 réflexions au sujet de « Ode naturelle »

  1. Tu te mets aussi aux jeux de mots Béa ? Oui c’est bien dit et avec beaucoup de poésie 😘💚💜💙❤️

  2. Ta danse m’a déjà enchantée, je ne t’ai pas vue au théâtre encore et maintenant ton écriture … C’est beau, émouvant parfois, très bien écrit toujours. BRAVO. Marinette (stretcheuse ADL)

  3. Puisse le vent semer tous ces mots de cœur dans l’artic-haut du plus grand nombre ! Toujours aussi rafraîchissant et en-ri-chissant de te lire ma belle paca batalanto 🙂

À vos mots !