Polichinelle

Impossible à vivre, il hante nos salons du mal subi, fidèle demeurant quelque part entre prudence et torpeur. Dans les chambres, un nom murmuré échappe à son souffle nocturne illustré de mystérieuses raisons collantes de papier peint. Les bruits de couloir résonnent du fumoir. Il affuble nos journées dans l’ombre glacée de ses empreintes. En cuisine, l’aiR le vaporise comme si les nuages n’avaient pas d’extérieur. Immortel, au-dessus de tout soupçon, il nervure notre âme jurée : on le nomme « secret ».

En famille, une vermine contagieuse l’enracine sans scrupules.

Le père, à la névrose infantile inavouée, souille son rôle d’aventures irrespectueuses en mensonges grossiers. Sans savoir, on l’écoute en toute confiance avec l’amour qu’il aime réclamer à outrance. Plus tard, ses paroles afficheront cinquante à zéro pour ses actes, trop tard. Le père Noël n’existe pas. Premier choc tandis que l’enfant caché est l’absence suggérée de toutes pensées lors du repas mais chut, surtout n’en parlons pas ! Tiens, la soeur palpe la violence des discussions au plat de résistance et se referme comme une huître collectionnant en cachette ses perles de non-dits. Le petit rigolo, fiancé de la fille, démontre trop de génie pour être sincère, il doit y avoir anguille sous roche. Il paraît que sa mère est gravement malade, sa voisine l’a dit à la boulangère. Quoi qu’il en soit, il parle trop sans l’essentiel. L’oncle a la mine des mauvais jours, un divorce vieillit le vin de sa coupe remplie de déchirure. La cousine fait une annonce inutile puisque son ventre a la rondeur du nouveau. Dans le jardin, Incognito le chien court nicher son os, et le fils fouille les tiroirs de la commode du cellier en catimini à la recherche du trésor universel : « dis maman, comment fait-on les bébés ? » Le rire à l’unisson impressionne cet enfant imaginant un jour être le grand-père qui règne par principe. En son temps, la grand-tante Claudine n’aurait pu imaginer sa vie en couleur sur une toile publique médiatisée de faux semblants afin de gaver les réseaux sociaux. Saviez-vous que la professeur de samba de Claire va se changer dans le bureau de Firmin en haut de l’école primaire ? Le scandale éclate sous le préau, on l’étale en famille. Pour finir, le gagnant est l’hypocrite de service, l’ami du soi-disant. Toujours présent à la tablée du dimanche, il pêche les nouvelles en désossant chaque membre inutilement. Une deuxième part de gâteau, s’il-vous-plaît, trop n’est jamais assez pour nourrir les convives à la fabulation sans vergognes.

En société, il se cache pour mieux combattre les injustices.

L’entretien d’embauche se déroule dans les bureaux à la façade impeccable de transparence. Le jeune diplômé a grandi dans une patrie déclarée fraternelle où le travail détermine la valeur et l’investissement en masse. L’assistante, au sourire déguisé de circonstance, accueille les candidats potentiels tel un véritable Pit Bull. La compétition commence, le patron raccroche avec son comptable histoire de tirer le meilleur bénéfice du prochain viré sur la liste à qui il diagnostiquera un absurde manque à gagner dans la boîte à camembert. En réalité, le licencié a le béguin pour la femme du patron, fait réciproquement véridique et visiblement condamnable. On le sait, on se tait : « au suivant ! » Dix ans de psychanalyse épouseront l’affaire. Les dossiers classés top secret, niveau rez-de-chaussée, en disent long d’après les collègues abonnés au café matinal. Malgré tout, la règle numéro un figure le fameux motus et bouche cousue. Diplôme faisant foi, le jeune est admirablement recruté au poste vacant, tant d’appellations valorisantes pour un minimum déversé en fin de mois taxé pour le bien de tous ou plutôt de quelques uns formant un tout. Un lendemain de pleine lune, il pleut des cordes sur le toit patronal fumant de colère. Abracadabra, la une des journaux est consacrée à sa société douteuse : surprise ! En noble conséquence les employés subissent les hurlements de honte du responsable. La remise en question n’est certes pas à l’honneur en ce qui concerne le haut de l’échelle, mieux vaut d’ailleurs ne pas tomber seul, d’où l’intérêt de s’en prendre aux autres ! À vrai dire, le petit dernier en place est un génie de l’informatique. Il a rapidement dévoilé au monde les comptes scandaleux de l’entreprise couverte par l’état et une horde d’avocats véreux, tous droits réservés. Les financements frauduleux, documents falsifiés et autres confidentialités dont une fortune non déclarée causeront la perte de celui qui eut les yeux plus gros que le ventre. En revanche, ce n’est qu’un petit pois dans l’immense manipulation financière de nos dirigeants à la morale douteuse et aux magouilles insupportables. Le génie décide d’oeuvrer en toute clandestinité car aujourd’hui, s’exposer au monde c’est l’accepter, or ni lui ni nous ne voulons un environnement soumis à l’information fleurissante de pots de vin.

Cadenasser l’amour ne fait qu’alourdir ce dernier jusqu’à la chute. Point de non retour à nos actions verrouillées d’honneur, nos histoires ne font pas facilement les grands Hommes. Un jour de soleil timide, quelqu’un m’a confié une vérité devenue ma botte secrète. Pourvu que je ne me trompe pas de pieds car de méli en mélo, parfois, je ne sais plus qui croiRe.

© Emilie ZébeRt

3 réflexions au sujet de « Polichinelle »

  1. J’ai attendu ce jour du 1er juillet, date fatidique, pour te dire combien depuis 32 ans tu remplis ma vie de bonheur et que tes écrits sont tellement à ton image : inattendus, profonds, pas toujours faciles mais très beaux. J’aimerais connaître ta botte secrète !!!

À vos mots !