Artificiellement vôtre

L’art de discourir se référant à certains vécus ou certaines convictions est l’actualisation la plus merveilleuse de nos sentiments. Le bavardage, tant sanctionné lors de notre éducation afin de maintenir notre écoute commune sous contrôle, anime si bien ce qui nous caractérise et l’envie irrésistible de partage avec ou sans filtre.

Nous échangeons volontiers sur nos avancées quotidiennes, histoire de plier nos vies en origami. La représentation excessive du bonheur ou du malheur, aussi subjective soit-elle, électrise notre poésie sous les griffes du passé. Si ce dernier n’effrayait plus le présent au mouvement tracé de circonstances imposées, nous acquerrions sans doute une liberté de choix inconditionnels. Demain, la virginité emballerait notre savoir déclamé, travaillant la nuit, jouissant le jour, ignorant les engagements dictés par les conventions inutiles, pesantes et désuètes. La définition même de la morale n’est dorénavant régie que par les opinions brandées de nos fabuleux médias. Greta milite sans trembler, qui ose donc se moquer ? Révisez votre humilité, vielles gens, le devenir n’a pas d’âge.

Il m’a trompée, nous l’avons trompé, elles se trompent : nous bafouillons ensemble.

Le parfait moment parisien, digne de ce nom pour discourir, défile en soirée chez des amis de longues dates. Cela implique s’il-vous-plaît trente minutes de retard poliment assumées, un duffle-coat curieusement remis au goût du jour, une coupe avec raie sur le côté et oreilles dégagées si cheveux il y a, la bouteille de Gin de nos actes manqués, sans oublier une femme que nous ne présentons plus puisqu’il s’agissait de la maîtresse du métrosexuel qui dans trois mois sera à son tour trompée etc, etc. Nous découvrons le grand appartement lisse et blanc orné de tableaux démesurés en vogue qui prendront évidemment soon de la valeur selon le galeriste de la rue du Bac. Primo, être bilingue pour ne pas dénoter, deuxio, placer l’adverbe « potentiellement » dans une phrase sur deux, tertio, se pavaner devant l’éphémère arborant l’aiR sérieux. La superficialité est magnifiée, ça rayonne d’apparence. Point de livres ni de photos, quelques meubles design à l’utilité douteuse supportent l’high-tech pointilleux. Trois plantes dans le coin à gauche n’en finissent pas de mourir. Place aux mondanités, notre hôte nous dirige vers le living room trente mètres plus loin. Les enfants au lit, mesdames, déshabillez-vous afin que ces messieurs puissent vous toucher délicatement et sentir de quel bois vous vous chauffez. Le tout merveilleusement poudré de Chanel, merci nos aïeux. 

Notre Australie brûle et Niagara retient ses chutes de larmes. 

On innove dans la colonie de l’espace, Mars serait une échappatoire disent-ils : « c’est extraordinaire, demain je prends mes billets ! » Tandis que les opinions sur Hidalgo engendrent des violences verbales tel un défouloir chez ceux qui n’ont pas encore résolu tous leurs problèmes intérieurs, la femme plus jeune que le groupe franco-français réuni ce soir, aux talons trop hauts et à la plastique trop cute est naturellement dévisagée de tous. Les proches l’aiment déjà, deux femmes aux rides camouflées, un peu vulgaires et évidemment disgraciées, improvisent une sympathie poussiéreuse afin de fausser l’amitié convenue. Si seulement son armure était plus dorée et son blason à jour face au jugement dernier ! Elle ne sait la réelle raison de sa présence, elle fuit un passé boiteux et accompagne un homme qui lui promet la lune, encore un. L’alcool coule à flots, les verres ne se sentent jamais vides, et la discussion bat son plein. Nous passons des photos Insta de la nouvelle conquête du frère en partie nue pointée du doigt mais bien épiée par tous, à l’égalité des sexes en affirmant que les femmes savent indubitablement moins bien se vendre que les hommes. Cette curieuse évolution des mentalités n’est pas toujours évolutive semblerait-il. Il est aussi temps de réserver notre villa à Saint-Barth pour l’été car les prix commencent à flamber sévèrement, ça c’est un vrai problème. Nous nous remémorons les folies sweet du Club Med de notre jeunesse : touche-pipi party pour les petits et pour les grands, la belle époque.

Nous étions là avant toi ma jolie, va faire la queue pour voir.

L’animation verbale continue par la réouverture des bordels comme solution à la clandestinité du métier de prostitué. Nous en avions déjà parlé avec l’ex strip-teaseuse du voisin à la carrière prometteuse, il est grand temps de redonner vie à un environnement comme on les fantasme pour le bien-être de tout le monde, l’investissement vaudra le détour. Abasourdie par tant d’exclamation, la jeune femme plutôt silencieuse et son ami cigare écoutent attentivement. Soudain, c’est la mise en lumière « et toi alors, que fais-tu dans la vie ? » Issue d’une famille d’artistes engagés et de philosophes italiens, les propos lancés aveuglément l’ont assoiffée, elle lève donc son verre, souriante, et déclare : « pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, je m’enivre, dixit Baudelaire. Le vin est bon, j’essaie la poésie avec un peu de vertu. J’ai ouï-dire que Mars espérait la guérison de Terre afin d’ouvrir la plus belle des voies jusqu’à ses courbes car Mars est méritant, il ne s’agit point d’une fin, ne vous y fiez pas, ses cratères et ses bassins d’impact ont tendance à le rendre lunaire et réticent face à l’inconséquence de certaines pensées ; Mars sublime l’univers et élève ses astres dans l’ombre de nos pas. Je commençais tout juste à vous apprécier lorsque mon intuition m’a convaincue d’aller contempler le temps filant dans les yeux de mon bien-aimé. Si je m’enferme sur votre étagère vous casserez ma constante sans avoir écouté, veuillez m’excuser. Oh Mars ! J’étais déjà partie avant même d’arriver. Merci pour cette partition entre deux planètes. »

Avec un peu d’agilité, parfois, une élucubration vaut mieux qu’une idée Reçue.

© Emilie ZébeRt

4 réflexions au sujet de « Artificiellement vôtre »

  1. Haha!! Voilà qui est bien dit…
    Ta façon de raconter l’anodin est tellement originale et jamais méchante mais tellement juste. Ne change pas.
    Je t’aime
    Ta maman préférée

  2. Cela faisait longtemps que je ne vous avais pas lu.
    Et c’est toujours un plaisir de vous lire, tant votre plume est belle et complexe.
    Au plaisir de vous relire…..

    Franck

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