– Docteur, ma poitrine me fait de plus en plus mal. Je sens comme des coups de poignards qui durcissent mes seins. Je ne dors plus la nuit par peur que mon coeur explose et brûle mon âme. J’ai aimé un homme au grand aiR, je l’ai adoré mais un soir, il y eut une éclipse lunaire. Depuis je manque de souffle, vous comprenez ? J’ai abandonné la joie qui habitait mon être, le désespoir me hante et je peine à réanimer mon humour.
– Madame, déshabillez-vous, s’il-vous-plaît.
– Docteur, je ne puis supporter une troisième mort. Il était si beau, enflammé par de folles envies et surprenant d’authenticité. Vous voyez, il suffit que je parle de lui pour échapper à mon marasme et renaître de mes songes.
– Veuillez laisser vos bras le long de votre corps. Lorsque vous évoquez une troisième mort madame, s’agissait-il d’un membre de votre famille ?
– Il est fils, frère, père, oncle, mari, amant, ami, il est tout. Vous n’entendez donc pas ? Il est tout ce que j’aurais aimé vivre à ses côtés.
– Est-ce le jeune homme qui vous accompagne madame ?
– Docteur, non, vous me parlez de compagnie, je vous parle d’amour. Laissez-moi vous raconter le jour où il a changé ma vie. Il m’attendait en bas de chez moi, fier dans sa tenue d’apparat, sans que je puisse prendre le temps de m’apprêter pour l’incroyable du moment. Tout est allé si vite. Nous aimions nous balader dans mon quartier où résonnent encore les mots entre ses lèvres : « pars avec moi et quitte tout ». La séduction que nous entretenions depuis des mois, toutes ces attentions avaient donc un sens à l’épreuve de nos actes. Quelques mots de lui me rendaient si vivante.
– Madame, retournez-vous je vous prie.
– La vérité et la transparence étaient notre unique promesse. Il y a les faux et les vrais, je nous croyais vrais ! J’ignorais tout de lui néanmoins nos confidences suffisaient à nous guider dans les secrets rouages de nos vies. J’écoutais ses histoires à longueur de temps, m’associant à ses profondes dérives, comme si je pouvais comprendre un tel naufrage, une telle fuite. Avec du recul, je devine à quel point les engagements personnels de sa vie ne furent finalement que frustration. Une fois la tentation de suivre le conformisme des mortels avortée, il ne put vivre l’amour librement. L’amour n’était à ses yeux que méfiance là où le bonheur n’est qu’histoire de mortels. Mon humeur joueuse devait se calmer face à ses exigences limitées et ses tours de vie fâcheusement mauvais.
– Rhabillez-vous madame et asseyez-vous. Inspirez profondément par le nez puis, expirez doucement par la bouche.
– Docteur, je l’ai aimé et j’étais heureuse de l’aimer. Je me suis confiée entièrement à lui. Cette nuit-là, la Lune était dans l’ombre de la Terre laissant place à l’obscurité de nos sentiments, je voyais soudain si clair en son jeu. Les piliers ont alors été bombardés, tout s’est effondré car lui me mentait dans toute sa banalité ne laissant que poussière à l’horizon. Au-delà du mal subi, ce qui m’est le plus insupportable je crois, c’est d’avoir été la victime de ce que j’exècre dans ce bas monde. Ce contre quoi je me suis battue, en tant que femme, a été souillé en une éclipse. J’étais vouée à notre histoire, rien ne pouvait entraver mon envie de lui. J’accompagnais ma bonne étoile, prête à gravir les plus hauts sommets jamais gravis jusque-là. Même lorsque j’ai su et voulu pardonner tant je l’idolâtrais, il continua ses sinistres actions et ce, en compagnie d’amis témoins que je croyais miens autrefois. En toute connaissance de mes deux premières morts, il brisa à nouveau mon coeur. Ces derniers jours, je ne composais plus qu’avec la conséquente fatigue de ce qu’il vivait ailleurs. Je le soignais malgré tout et me disais qu’à ses côtés tout était encore possible puisque tout me semblait insipide sans lui. Je ne me suis jamais sentie si seule dans les bras d’un être si cher à mes yeux.
– Madame, tout va bien, ce n’était qu’un vertige.
– Docteur, je ne pensais pas que souffrir pouvait encore m’arriver.
– Madame, « des années de souffrance ne paieraient pas une heure d’amour ». Cela fera vingt-cinq euros, comment désirez-vous régler ?
– En alignant les planètes de nouveau docteuR.
© Emilie ZébeRt