Ivresse

Le foulard humide et salé de mélancolie tempère le chemin d’Apolline. Un chat gris freine ses pas sous la lune rousse d’un été chaud pour la saison. Elle ancre son regard vers le sous-bois à la recherche du malin caché. Curieuse, elle s’agenouille en silence articulé de délicatesse. Le temps des aiguilles implore ses songes. Apolline s’isole dans la pénombre d’une nuit tourmentée par un jeune homme.

Le grain de peau frissonnant, elle imagine ses belles mains caresser la sensible nuque dévoilée sans pudeur. Loin de l’abysse humaine, il semble s’élever au-dessus de l’auguste montagne dont la couleur pénètre l’horizon comme ses yeux en un regard. Une rencontre soufflée de voix inattendue, Apolline n’osait bavarder, le trouble envahit sans crier gare. Elle se souvient de la respiration bloquée à l’intimité de sa joue. Ce soir, il ne devait pas être là, il n’aurait pas dû car il arracha à jamais son coeur.

Le sous-bois animé incite à reposer ses grands yeux si tristes. Apolline inspire profondément afin de calmer l’étouffante ardeur. Elle prend conscience de la moindre vie qui l’entoure et sent cette symbiose admirable de connexion. Un concerto harmonise chaque bruissement. La plus curieuse des impressions résonne telle une évidence oubliée : toutes les grandes choses de ce monde s’effondrent si nous perdons les petites. La nature nous l’explique chaque jour, Apolline l’entend.

Le vent emporte la chaleur de son âme entre pollen et gouttes de larme. Elle ignore tout du jeune homme sauf l’amour dont il souffrait sans retenue. Les lèvres de son visage coupaient le son de ses mots, elle n’a pas écouté les murmures dans l’aiR foudroyant de pulsions insoutenables. L’unique de son être lui plaisait magnifiant sa grandeur. Il était mystérieux, Apolline l’était pour lui. Inconsolable de passion, elle a saisi son trouble volant l’insouciance qui l’habitait autrefois.

La moindre coïncidence peine ses idées. Le chat gris ne revient pas. Elle attend puisque tout ici le ramène à lui. Le jeune homme ou le petit chat, c’est égal. Sans espoir l’indifférence règne alors elle patientera, le temps nécessaire. L’âge du chêne voisin, dont les glands séduisent avidement le bon odorat de l’écureuil curieux de nouvelle présence en ses lieux, interroge Apolline sur le nombre de jours loin de sa peau cicatrisée au coin de l’oeil. Épuisée de souffrance, elle allonge son corps à même le sol s’adonnant à l’étreinte du serpent, aux piqûres en tout genre et sangliers à la charge.

A son réveil une douce sensation en bas du dos surprend Apolline. Le chat a veillé aux côtés de ses rêves enroulés des bras musclés puis emmêlés des longues jambes du bien-aimé. Mais le chat n’est pas gris. La nuit était-elle enchanteresse d’images ou le sous-bois a-t-il confondu l’ombre et la lumière ? Perdue, Appoline embrasse le chat calico au museau rose pâle, les retrouvailles sont éternellement ronronnantes. Elle se lève, dégourdit son esprit, pas une blessure, juste cette petite boule de poils retrouvée en chemin.

Le flou de sa vision mène leurs pas au bout d’un sentier fleuri de camomille. Soudain son coeur bat la chamade, une silhouette repose au pied d’un saule pleureur. Apolline s’approche attentive, et, sous un chapeau de paille, un brin de blé en bouche, il est là, l’homme de ses tourments, l’homme qui partage sa vie depuis tant d’années, l’homme qui est moins jeune. C’était donc lui qu’elle cherchait et dont elle n’entendait plus la voix car de jours en jours, l’homme du premier n’est plus celui du dernier. Qu’en est-il de celui qui hante ses nuits ? Les pleurs ne seront que plus violents, avant elle savait. Miséricordieux, le chat les adopta, chemin faisant l’ivResse du lendemain.

© Emilie ZébeRt

3 réflexions au sujet de « Ivresse »

  1. Je me suis promenée dans le bois près de la maison avec Câline et je n’ai jamais trouvé le chemin qui mène à l’homme au chapeau de paille …
    Dommage, il reste dans mes rêves. C’est beau ce que tu écris Mimi, beau et poétique.

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