Lui s’est trompé de sac pour voyager, nous aviserons sur place, pense-t-il, sans gravité. Là-bas semble solutionner le problème d’ici, l’erreur paraît futile de loin cependant Elle sait d’avance l’ampleur du drame qui assombrira l’horizon de petits détails tels qu’un sac inconfortable pour avancer des montagnes andines à la côte pacifique.
Heureux de débarquement, ils mangent les kilomètres dans la bus mobile où cliquent les photos de l’appareil annonciateur du concours dernier cri de touristes aux lampes frontales décoratrices et coussins gonflables sortis pour l’occasion. Les Bidochon en équipement montagnard cramponnés à leur gourde prennent la pose du conquérant au majestueux Machu Picchu, le pied sur un rocher transporté on ne sait comment du niveau de l’océan jusqu’au sommet, des siècles auparavant. L’allure certaine, mains sur les hanches, « un, deux, trois », dix secondes plus tard, l’insupportable « cheese » résonne pour les zygomatiques. « C’est dans la boîte mon chéri. Tu es tellement beau. » Ah bon ? Cela reste aussi mystérieux que les alentours ! Les écrans sociaux rendront hommage au cliché et peut être un cadre dans le salon, si madame veut bien. La saison du carnaval des voyageurs déjà vu déguise les ridicules. L’altitude faisant, la bêtise innove. Pour gagner l’avantage de l’originalité en vogue devant l’objectif polluant l’aiR d’effigie à la technologie mouvante, chacun y met du sien sans la moindre retenue. En arrière plan un chinois peut en cacher un autre : pris, les doigts dans le nez !
Elle : « Nous ne le ferons certainement qu’une fois dans notre vie, le plus rapide serait de prendre le train pour s’y rendre, qu’en penses-tu ? »
Lui : « On critique, on regrette les touristes qui engraissent les compagnies de ce système et par manque de temps nous cédons ! Je dois manger une glace. »
Elle : « Oui mais j’ai lu tant d’histoires sur ce train… »
Lui : « Nous n’avons pas d’autre choix, allons payer ! Au moins je ne porterai plus ce foutu sac. »
Le moustique : « Finalement, c’est trop cher, moi, je n’ai pas envie et puis je suis fatigué, je resterai à l’hôtel. »
Dans un désert somptueux de sel, les 4×4 d’aventuriers boliviens polluent le paysage où les guides réalisent une vidéo grâce à la perspective incroyable de réflexion. L’horizon sans fin permet le jeu et le prix de l’expédition vaut bien des chips reconstitués états-uniens. Les consignes sont précises. Le guide place le paquet de Pringles devant l’objectif posé à même le sol, les touristes quarante mètres plus loin doivent improviser. Moteur, ça tourne, action : mimez l’escalade d’un ravin dangereux les uns derrière les autres tels des explorateurs, retrouvez-vous de l’autre côté, demi tour, accroupissez-vous pour entrer à l’intérieur d’un tunnel obscur et mission accomplie, ressortez en dansant, heureux de réaliser le clip de vos vacances, goût Paprika. Sérieusement, on ajoute une musique locale au montage, rien de mieux que la bonne recette d’un abrutissement touristique instantané et cerise sur le gâteau : les gens ( y compris Lui et Le moustique ) adorent ! En tant que spectatrice non sociable d’un tel phénomène refusant une si chouette mise en scène, le rire l’étouffe. Elle n’en revient pas, on feint le dommage collatéral. Il faut le voir pour le croire. Ne sachant où se réfugier, Elle écoute le sel sous ses pieds piquant de cristaux toute éblouie par l’incroyable réverbération des rayons du soleil. En route, il faut y aller. Trois jours durant, rien n’arrête le circuit prévu. Douze étrangers emboîtés sur des sièges de 4×4 suréquipés aux fenêtres fermées en garde du vent ravageur. Quelques minutes d’arrêt pour chaque environ à couper le souffle, pas une de plus s’il vous plaît. Étourdie, Elle ose, une fois, retarder la bande de cornichons pour qui seule compte l’arrivée avant les autres au refuge. Le guide bolivien anglicise « fifteen minutes », Elle comprend fifty et montre en main arrache ses pas dans l’aride à la recherche de liberté, précisément. Ces règles écolières de temporalité l’oppressent, Elle enrage des dix heures de voiture dans les parages sculptés de pierres, du manque d’activité physique, intellectuel et de respect pour cette nature généreuse en couleur. De plus, la proximité avec la pire des jeunesses criarde américaine hochant un « yes » à chaque explication rudimentaire l’angoisse. A son retour, le chauffeur dont la vie est un Dakar fait rugir son moteur, le guide se tait d’impatience et les autres la fusillent du regard. Elle ne correspond pas et retarde le troupeau. Quant à Lui, frappé un coup de trop par la chaleur, il s’isole, poussiéreux, dans la réciprocité des demandes, un exemple de bon élève. Semblant de mal-être face à une danoise naïve tombée sous le charme du beau parleur sauveur de l’humanité, il fuit derrière les persol de Steeve McQueen offertes par Elle, protectrice du bleu de ses yeux. Le moustique, nuisible juvénile imbu de sa personne, s’installe toujours à la meilleure place. Imbuvable oui ! Et dire qu’à la fin tout le monde applaudit, sauf Elle, évidemment. Le spectacle est un désastre d’hypocrisie en tout genre. Pas étonnant que les lamas, oreilles rabaissées, leur crachent dessus. Elle fait de même en secret, dans ses rêves. Ainsi perdure l’exploitation des hommes en cage fumant du gasoil à toute allure dans un décors paradisiaque.
Lui : « Si le monde parlait Esperanto, il n’y aurait pas eu de problème et tu aurais compris ! »
Elle : « Pouvons nous changer de sujet pour les vacances ? J’aurais de toute façon pris le temps nécessaire. »
Le moustique : « D’après mes notes, nous devons absolument faire les comptes ce soir car les écarts se creusent. Je vais faire une petite sieste. »
Lui : « C’est prévu. »
Elle : « On nous prend vraiment pour des cons. J’ai envie de tout casser. Et toi qui ignore… Tout ça pour ne pas transporter ce sac tissé d’inutilité frappante ! »
Il faut croire que l’envie d’Elle a eu l’écho andin souhaité car sur le chemin du retour les fameuses voitures tombaient en panne comme des petites miettes semées les unes après les autres et un accident à la gravité gênante l’empêcha par la suite de penser au pire. On ne sait jamais trop la répercussion de nos désirs cachés.
Un invité surprise nommé plastique, incontestablement présent, dérange et surcharge les immensités. Ils ont les lignes de Nasca aux surprenants dessins ineffaçables coupées par la ligne panaméricaine bordée de poubelles abandonnées, qu’auront-ils demain au bout de leur ligne ? La nature est belle là où l’homme n’est pas. Pauvre Pachamama pourtant adulée à chaque coin de rue peuplée de chiens délaissés. La culture, un cas à part, est souillée par ses contemporains politiques aux sourires corrompus affichés honteusement sur les murs. Le cola jaune a la publicité assurée et engrosse considérablement la population ; fierté péruvienne nationale en sucre oui. Que reste-t-il de leurs incas ? Une devise sans doute, « ama sua, ama quella, ama llulla » : ne pas voler, ne pas paresser, ne pas mentir. Dans les villes, certaines femmes descendent des montagnes coiffées de deux longues tresses noires retenues par d’originaux pompoms colorés. Un chapeau plus que symbolique habille leurs traditionnels vêtements et un large tissu recouvrant leur dos transporte tricots et objets destinés au tourisme de masse. Là haut, les hommes savent cultiver en terrasses riches de diversité, moutons gardés, habits tachés, tandis que les exploitants assomment leur rendement. Certains vont encore à la mine, dure réalité. Les dents de leur sourire transmettent la gentillesse. Les yeux rident leur peau pigmentée de soleil. En ville, les klaxons aboient, les pots d’échappement puent, les collectifs crient à l’appel et la misère semble la même sur tous les visages. Pour ne pas couler, le lago Titicaca impressionne loin des sales rivages abritant de curieux échoués. Sur les îles, ils se réfugient et Elle mange sainement, enfin. Depuis l’arrivée, Lui et Le moustique clament les menus à huit soles des boui boui locaux, ignorants du contenu de leurs assiettes. Pourtant, Elle connait et avertit, au vu de l’hygiène non présente, il vaut mieux éviter. Rien n’y fera, ils s’engouffrent mutuellement dans un manque de bon sens éducatif. Le résultat est sans équivoque : l’intoxication accable la nuit suivante, miam, miam le cuy.
Elle : « Je te signale que la nourriture respectée de préparation m’importe toujours autant. En France on ose à peine mettre les pieds dans une brasserie à la décoration douteuse et ici on s’attable dans des garages à mouches aux murs enduits de friture et de noirceur à la provenance inconnue ? »
Lui : « Je ne suis pas disponible pour une discussion ! Tu ne vois pas que j’ai de la fièvre en plus des vomissements à répétition ? »
Elle : « Rassure-toi, tout le monde dans cette chambre est malade ! »
Le moustique : « On ne pourra pas se lever demain pour le vol du condor, impossible, c’est trop tôt vu notre état. »
Elle, trop polie pour dire ses quatre vérités à monsieur Le moustique, histoire de ne pas le blesser inutilement, pense à une réplique piquante de soulagement sirotant son mate de coca : « si tu passais moins de temps à dormir et un peu plus à ce qui peut rendre un périple sympathique à trois au-delà de ta petite personne, tu déambulerais les rues à l’affût de la perle rare dressée pour de bons mets au lieu de ramener sans cesse tes ailes comme une Castafiore aux pérégrinations douteuses ! »
Lui : « Ah… j’ai trop mal… Demain, j’arrête les glaces. »
Elle : « J’appelle un médecin. Bois plus d’eau. »
A trois l’accord est difficile, surtout de proche en proche. Elle abandonne toute sociabilité évidente laissant libre court à la suite sans illusion de partage puisque Le moustique sait tout d’avance quoi qu’il en soit, même discuter le fatigue, et Lui se cache sous son chapeau. Elle décide d’accepter l’éphémère afin de rendre les choses moins énervantes et enchaîne les « pisco sour » ironisant la grossièreté de l’étiquette : touristes de pacotille. Les arbres lui manquent.
Lui, guéri, calme ses ardeurs revenues d’outre-tombe ; Le moustique a beaucoup trop fatigué l’ouïe. Subséquemment, fort en pensées, Lui remue ses méninges pour solutionner les droits de chacun tandis que son sac demeure importable. La raison n’est pas là où un glacier parfume. Impulsivité non contrôlée, deux boules de glace au chocolat adoucissent les moeurs. Les minutes suivantes étonnent d’enfantillage. Pourvu que ça dure.
Le moustique s’en va, trompe trop élevée à l’aube de ses jours.
De virages en descentes, la douce harmonie se révèle silencieuse : Elle et Lui continuent l’aventure dans un tourbillon d’amour trop éprouvé. Lui recommence à croquer des bouts de pomme pour la nourrir afin de ne pas abîmer ses gencives trop sensibles. Elle lui redonne des petits noms d’animaux inévitablement craquants. Ils rigolent de complicité retrouvée et poétisent leur avenir. Un soir d’étoiles suspendues à l’autre bout de la Terre, il lui souffle à l’oreille : « dessine-moi un mouton ». Le coeur s’emballe d’envie quand soudain un bruit familieR dénote. Elle s’inquiète ; ils écoutent : « un moustique ! »
© Emilie ZébeRt
Moi, j’aurais bien voulu être une mouche … Posée là sur … Bon, en tout cas tu n’as pas perdu ton humour 😉 ni ta poésie.
Pic et pic et colégram 😄
Bon c’est lu… C’est bon, trés bon….je ne suis pas une mouche….mais une petite souris, j’aurais adoré😂😂😂….en tous cas j’y étais avec toi…je crois que les bidochons sont les mêmes partout….pour l’écriture, je kiffe grave!!!! 😘😘😘