Une bouteille vient orner le paysage de son quotidien. Il aime les jolies étiquettes mais difficile de distinguer l’écriture de loin. Avec beaucoup d’attention, curieux et animé par une irrésistible envie, il suppose : « Château Cheval Blanc ». Le mystère prend place, un nouveau monde ensoleillé hante ses divines rêveries, il imagine une robe grise s’éclaircir avec le temps dans le cristal accueillant de son âme. On « Henri » au galop. Il semble apercevoir sous l’appellation : 1984, coïncidence subliminale, il est amoureux.
Les jours puis les mois passent, rien ne trépasse, il l’observe, silencieux.
Majestueuse la bouteille sombre l’attire sans cesse, il pense à la complexité qu’elle dégage, à son élégante fraîcheur. Il espérerait tant la goûter en trinquant à la santé de tous les grains de sable qui l’élèvent royalement. Si seulement il pouvait lire l’étiquette, savoir d’où elle vient et la raison de sa mise en valeur évidente. Son histoire l’intrigue, on passe, on la regarde, on la manipule délicatement. Elle illumine les alentours à travers le peu de lumière dont elle a droit, c’est éblouissant. Elle réside, attirante, admirée, enviée, sublimée tel un joyau rare, un rubis qui fait tourner les aiguilles du temps au rythme des battements de son corps et quel corps !
Lui jalouse ses semblables, il est le verre qu’il lui faut, il le sait, il la veut, il jubile. Il a l’âme du lion rugissant et hume gravement le sol argileux. Il est la couleur qu’elle suggère, sa paraison large et profonde l’accueillera goulûment. Il a la jambe haute parcourant son ventre étiqueté afin d’épouser ses épaules, le pied hexagonal festonné pour son jable, le décor taillé et unique pour l’harmonie des arômes tout droit sortis de son col étroit laissant deviner une bague parfaitement ajustée. Il attend le cheval indomptable déjà dressé face à l’obstacle bouchonné qui, plein de puissance, hennit ses origines.
Les mois puis les années passent, rien ne trépasse, il l’observe, patiemment.
Le maître des lieux caresse du regard la désirée et murmure intimement « Mon Saint-Émilion ». Incroyable, une girondine, le verre avait jaugé les bonnes formes. Une table ronde éclairée d’une bougie à la cire chaude invite la bouteille et le verre au milieu de la cave aux merveilles. Dans une intimité gênante, le maître les abandonne un court instant afin de s’armer d’un couteau de sommelier. Le temps n’a plus d’âge, l’aiR est humide, le verre chante, la température semble de circonstance.
La coupe de la capsule est nette et droite. Une fois le bouchon délicatement retiré, le vin prend l’aiR et la bouteille dénudée peut enfin s’exprimer. Méritante d’un tel rituel, pourtant discrète, elle libère quelques effluves enivrantes qui font chavirer le verre de bonheur. Le maître ne tarde guère et la couleur tuilée de sa robe s’écoule précieusement le long de la cheminée du verre scintillant. C’est une marée pleine de sensualité, un élan délicat inoubliable, un instant précieux tant attendu. Le vin s’installe fièrement dans le verre dansant au creux de la main du maître autour de la bouteille illustrée si finement, de près c’est encore plus intimidant.
A la nôtre mon amour, que cette nuit soit notre ivresse !
Le vin divin n’est plus. La table, le verre et la bouteille demeurent dans l’odeur la cire sculptée par la flamme magique de la nuit fruitée. Le crime est parfait et ce jusqu’à la lie décorative. Le tableau suffit à imaginer l’intensité du partage charnel de ce premier grand cru classé X. Quant au millésime, considéré comme le plus difficile de sa décennie, la surprise est franche, merci Cabernet, Merlot a souffert, hélas ! Vague à l’âme, le verre et la bouteille ne resteront vides qu’en appaRence.
© Emilie ZébeRt
Comme tu le sais Daphné du Maurier a commencé par écrire des nouvelles … A quand « Rebecca » ? A moins qu’un réalisateur n’adapte une de tes nouvelles comme Alfred Hitchcock l’a fait avec « Les oiseaux » qui, peu de personnes le savent, est bien une nouvelle de Daphné du Maurier… En tous cas t’es trop forte toi ;))
Belle robe et beaucoup de corps… Te ferais je l’injure de t’envoyer la photo de la bouteille et pourtant je peux le faire…;)
Elle ne manque pas d’aiR, elle l’a fait ;))
Bien lu « 1989 », c’est mimi tout plein comme toi…à 4 ans avec tes couettes!!! Vague à l’âme a beaucoup d’âme, garde la tienne telle quelle, c’est très bien ainsi….
merci ;))
Excellent, passionnant, haletant. Effet réussi, j’adore ! Merci